Témoignage : Françoise Varenne
Auteur : Publié le 13/10/2020 à 09h00 -Durant ma 3ème année de formation à l’Ecole de Shiatsu Thérapeutique, j’ai ressenti le besoin et l’envie de mettre en application ma pratique du shiatsu dans un environnement médical ou médico-social. J’ai pu effectuer cette expérience dans le domaine de l’addictologie au sein du Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie de l’Hôpital André Grégoire de Montreuil (94).
Dès le début, toute l’équipe du CSAPA s’est positionnée pour recevoir un shiatsu ainsi rappelé par l’un des médecins addictologue « Pour savoir à quels patients le proposer en priorité, ce qu’on peut en attendre et surtout pour savoir comment en parler, il faut que nous l’expérimentions nous-mêmes ».
Ma première année d’activité a été couverte par une convention de stage non rémunéré, signée entre l’EST et le Centre Hospitalier Intercommunal André Grégoire de Montreuil, dont le CSAPA constitue la plus grande partie du Service Addictologie. La Mosaïque est un CSAPA hospitalier ce qui teinte son fonctionnement des contraintes de la fonction publique hospitalière mais lui en apporte aussi les avantages.
« Alors, le Shiatsu, ça marche pour guérir les toxicomanes ? »
On me demande souvent « Alors, il y a des points pour arrêter les addictions ? Et il faut combien de séances ? Et tu arrives à les guérir ? ». Ces questions ainsi posées révèlent la distorsion entre l’image de certains sur ce qu’est le soin en addictologie et la réalité. Au delà du Shiatsu, cela est aussi vrai pour l’ensemble de l’offre de soins. Après des décennies de prise en charge dont l’objectif prioritaire était le sevrage à tout prix, pour protéger la société du « toxicomane » et le ramener dans la « normalité », la politique de santé actuelle différe. Elle ne parle plus de traitement de la toxicomanie et des toxicomanes mais de prise en charge des addictions.
La nuance est de taille : elle met en avant la prévention, la réduction des risques liés à la consommation et une prise en charge globale du patient, dans toutes les composantes de sa santé et de sa vie pour l’accompagner face aux conséquences somatiques, psychiques et sociales des consommations ou des comportements problématiques en s’intéressant également à toutes les dimensions de ce qui l’a conduit là où il se trouve maintenant.
Cette approche globale de l’individu et de son environnement a beaucoup de points communs avec l’approche de la médecine chinoise, l’une des bases théoriques de notre pratique. Si un sevrage physique strict peut être mené, en quelques semaines, cela ne résout pratiquement jamais le problème qui a mené à la consommation. Si le patient ne bénéficie pas d’une prise en charge globale médicale, sociale et psychologique et qu’on ne l’accompagne pas dans la résolution des traumas, des blessures, des conditions sociales et environnementales qui l’ont amené à la consommation et/ou au fait qu’elle est devenue problématique, qu’on ne l’accompagne pas dans le changement qu’il va devoir opérer dans sa vie, le sevrage aura été une violence inutile et la consommation rependra, souvent de plus belle, accompagnée d’un sentiment d’échec qui la rendra encore plus problématique.
Les CSAPA, s’inscrivent complètement dans cette logique à côté de structures comme les Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques pour les Usagers de Drogues, les Centres de Soins de Suite et de Réadaptation spécialisé en Addictologie, les Communautés Thérapeutiques, par exemple. Faire partie intégrante d’une équipe pluridisciplinaire Un CSAPA est donc une structure médico-sociale organisée autour d’une équipe pluridisciplinaire : médecins addictologues, infirmières, psychologues et travailleurs sociaux.
Parfaitement intégrée à l’équipe, je participe aujourd’hui aux réunions de synthèse hebdomadaires durant lesquelles, outre les questions liées au fonctionnement de l’équipe, nous échangeons sur les cas des patients et sur les demandes d’admission, aux journées institutionnelles durant lesquelles nous étudions des sujets de fond, aux supervisions durant lesquelles sont abordées, avec un intervenant extérieur, par exemple des analyses de pratique.
Ce fonctionnement en équipe est pour moi d’une richesse inouïe qui m’a permis de constituer mes connaissances de terrain en addictologie et de les enrichir chaque jour. Ces échanges me permettent d’aborder chaque patient avec une meilleure connaissance de son parcours, de ses antécédents, de ses attentes, de ses priorités, de son état actuel, des éléments de sa prise en charge à la Mosaïque et des stratégies mises en place par les autres professionnels.
Cela m’aide à mieux orienter le questionnement et à adapter la séance de shiatsu. Et c’est l’opportunité de compléter les actions de mes collègues telle une synergie. Il est arrivé très souvent que la lecture Médecine Orientale fasse le lien entre des observations de professionnels qu’elles soient somatiques, psychiques ou comportementales, apparemment sans lien au sens de la Médecine Occidentale et d’ouvrir à une grille de lecture différente. L’échange permet d’avancer ensemble chacun avec ses outils, pour aider le patient à avancer sur le long chemin chaotique et semé d’embûches, de grands pas en avant et de petits pas en arrière du traitement d’un comportement addictif. Découvrir une autre voie/voix de dialogue avec son corps.
L’approche du patient par le Shiatsu Thérapeutique permet également une prise en charge perçue comme différente par les patients. La séance n’induit pas d’attente de la part du praticien, vis-à-vis d’eux. Ils viennent sans rien à négocier, juste pour recevoir ce qui leur est donné et il s’y livre donc parfois des choses qui ne se livrent pas ailleurs.
Un des atouts du Shiatsu est sa technique de soin qui passe par le corps (habillé) sans autre intermédiaire que la main.
Pour les patients, un contact bienveillant tout en étant ferme et contenant, est une expérience inédite ; le manque profond de ce type de contact, ils en souffrent parfois sans en avoir pris conscience jusqu’à en rencontrer la sensation. Le fait de passer par le corps dénoue bien souvent les blocages et ouvre la voie pour ceux dont le travail par la parole est difficile. Le Shiatsu s’adapte aussi très bien à la prise en charges des patients.
Je me suis très vite rendu compte que les patients (ex-)consommateurs de substances psychoactives -habitués à la recherche de sensations corporelles et psychiques par la consommation de produits - étaient dans leur grande majorité très sensibles aux effets du Shiatsu et aux mouvements et sensations que cela crée dans leur corps.
Plus encore, ils ne sont nullement mal à l’aise ou effrayés par ces sensations étranges parfois très distantes de la zone du corps qui est touchée. Ils laissent donc naturellement circuler le Qi quand on le met en mouvement.
Ce qui fait dire à certains de mes patients que pendant et après la séance, ils se sentent aussi bien qu’en consommant mais « sans la contrepartie à payer qu’est la descente ». Pour les usagers qui consomment toujours, cela retarde bien souvent leur prochaine consommation. Combler les vides et Libérer les plénitudes
Après plusieurs années de pratique, il m’est venu la conviction que si le Shiatsu est un outil thérapeutique qui s’exprime si bien en addictologie c’est peut-être également, dû à une analogie entre les dimensions du comportement addictif et les principes d’actions du Shiatsu.
Le plus souvent une personne va avoir recours, consciemment ou non, à la consommation d’un produit psychoactif ou à un comportement addictif soit pour combler un vide (carence affective, deuil, sens de sa vie, manque d’objectifs, projection vers un futur intéressant…) ou à l’opposé pour évacuer à un trop plein de ressentis envahissants et douloureux (stress, angoisse, douleur, psychose…).
Le produit ou le comportement est alors perçu comme seule solution accessible pour rééquilibrer les choses et atténuer la souffrance.
Mais une fois la consommation installée, le manque de produit (ou de possibilité d’exercer le comportement) devient un vide que le corps et l’esprit revendiquent impérativement qu’il soit comblé en priorité sur tout autre besoin, alors qu’en même temps, les symptômes physiques liés au manque sont perçus comme un trop plein de sensations insupportables qu’il faut faire cesser à tout prix.
Un nouveau retour au produit ou au comportement est, de nouveau, perçu comme la seule solution possible. Ma piste de travail est que le Shiatsu puisse contribuer, au côté des autres soins, à combler ces vides et libérer ces plénitudes, progressivement en lieu et place des produits ou des comportements, idéalement jusqu’à retour à un équilibre somato-psychique dans lequel ni les uns, ni les autres, ne seraient vus comme l’unique solution.
Au carrefour entre somatique, psychique et comportemental, le Shiatsu est ainsic devenu un outil thérapeutique de plus dans l’offre de soins de La Mosaïque qui permet de faire un lien inédit entre les autres outils de la prise en charge. En complément aux séances individuelles de Shiatsu, des séances collectives de Qi Gong et d’Automassages sont organisées.
Je poursuis cette expérience avec bonheur, en parallèle de mon activité en cabinet à Paris, au sein d’une équipe solidaire et chaleureuse, très ouverte et convaincue par le Shiatsu depuis que chacun l’a expérimenté et au vu des résultats sur les patients.
Même si j’apprécie beaucoup le travail en cabinet, je suis très attachée à cette forme de travail et de collaboration en équipe pluridisciplinaire et je souhaite pouvoir conserver un équilibre entre les deux types de pratique.
Au-delà de toutes les connaissances et l’expérience que cela m’apporte chaque jour et de la manière dont cela nourrit ma pratique du Shiatsu, la rencontre avec l’équipe de la Mosaïque et les patients est surtout une belle aventure humaine, qui, je l’espère, se poursuivra longtemps.
Françoise VARENNE www.niji-shiatsu.org
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