Partager la joie de sa bonne santé
Auteur : Publié le 03/05/2020 à 16h52 -Dans notre boîte à trésors orientale, nous avons pas mal de techniques d’étirements, de souffle, de posture… que nous pratiquons et enseignons parfois à nos receveurs. On appelle cela, pêle-mêle, Do In, Qi Gong, auto shiatsu ou autres, et un des noms qui revient le plus souvent est sans aucun doute le Makkô Hô, c’est-à-dire, dans l’acception répandue, les étirements des méridiens inventés par M. Masunaga.
Le Makkô Hô : idées fausses et vraie pratique
Mais si on lit attentivement les sources et si on tente de remonter le fil, on trouve très rapidement des choses inédites. Ainsi :
- Ce qu’on appelle Makkô Hô n’est pas le Makkô Hô original, tel qu’il existe encore au Japon aujourd’hui
- M. Shizuto Masunaga ne parle pas de Makkô Hô, il propose des ‘exercices visualisés’ (comme le précise le titre de son livre : Zen – Exercices visualisés, par ailleurs).
- Il y a un fond commun à toutes ces pratiques, mais il y a aussi des différences fondamentales. Les racines sont tantôt chinoises, tantôt japonaises, taoïstes, bouddhistes… etc.
Etymologie de Makkô Hô
C’est une règle infaillible quand on veut comprendre de quoi il s’agit : face à un concept japonais, aller voir l’étymologie en regardant les kanji. Avec prudence. Google Translate est très approximatif et ne donne pas toujours les bonnes lectures des kanji (il y a la lecture basée sur le son, On’yomi, Chinoise et celle basée sur le sens, Kun’yomi, japonaise, et souvent, pour le même signe, plusieurs lectures On et plusieurs Kun). Quant aux traducteurs de livres, ils ont souvent tendance à traduire des concepts orientaux par des notions occidentales, inconnues ou étrangères en Orient. Donc, le mieux est de regarder les kanji et de juxtaposer les significations, sans interpréter avec un mental d’Occidental. Il y a pour cela d’excellents dictionnaires en ligne.
Dans le cas de Makkô Hô, il y a trois kanji :
- Ma 真 prononcé également Shin contient l’idée de vérité, de réalité, d’authenticité, de sérieux. Ainsi, il se retrouve également dans le mot photographie (shashin, 写真).
- Kô 向 donne l’idée de direction, inclinaison, tendance, aller vers, pointer vers
- Hô 法 nous envoie vers loi, acte, principe, méthode, technique… Le livre de Tempeki Tamai s’appelle ainsi Shiatsu Hô, c’est bien le même Hô, donc Méthode de Shiatsu.
Cela paraît un détail, mais il faut prononcer Koo et Hoo longs, Ko et Ho courts voulant évidemment dire tout autre chose.
Makkô Hô, c’est donc méthode de Makkô, méthode qui nous fait aller, nous renvoie vers l’authenticité, le sérieux, la vérité. Tomoko Morikawa Morganelli, praticienne de Makkô Hô japonais, traduit par ‘to look straight forward’, regarder droit devant. Quel est alors le rapport de Makkô avec des étirements ?
La réponse est sans doute dans le véritable Makkô Hô, tel que pratiqué encore aujourd’hui au Japon.
Origine du Makkô Hô japonais
C’est un acupuncteur anglais, Johan Dixon qui m’a mis sur la piste du Makkô Hô japonais actuel. Il parle en effet de 4 exercices, alors qu’habituellement nous en proposons 6. Cela suffisait à susciter la curiosité.
C’est M. Wataru Nagai qui a mis à l’honneur les exercices du Makkô Hô. Fils d’un moine bouddhiste, il mène une carrière d’homme d’affaires lorsqu’il est frappé d’hémorragie cérébrale. Déclaré incurable et diminué physiquement, il se met à réciter les sutra bouddhistes. Or, dans son temple natal, le Shôman Ji près de Fukui (福井県の勝鬘寺), il y a une pratique assise qui consiste à ‘se plier à partir de la taille’ devant le Bouddha. Trouvant qu’il devrait introduire la gratitude dans sa vie, M. Nagai décide de pratiquer, découvre qu’il est bloqué suite à son accident, mais, en bon Japonais, s’efforce (gambatte kudasai, comme on dit là-bas) et, après 3 ans de pratique, retrouve ses pleines capacités physiques d’avant l’accident.
En 1948, dans l’après-guerre, et dans le but d’encourager les Japonais à se reconstruire, M. Wataru Nagai se mit à enseigner et diffuser ces exercices de santé sous le nom de Makkô Hô. Son fils, M. Haraku Nagai, écrivit même un livre sur la méthode en 1972 Makkô Hô : 5 minutes physical fitness et voyagea en Occident dans les années ’70 pour la diffuser. Historiquement, nous sommes donc en plein parallèle avec la période de développement du shiatsu et dans le schéma d’exportation de techniques japonaises en Occident. Il ne semble pas que la méthode originelle de Makkô Hô s’y soit largement enracinée, à l’exception de… deux ( ?) praticiens aux Etats-Unis.
Terreau culturel et religieux
Poursuivons l’investigation sur les racines. Quand on parle d’une pratique dans un temple bouddhiste, à quoi raccrocher ? Il y a en effet pas mal de différences entre les différents bouddhismes japonais (Kegon, Tendai, Shingon, Zen, Jôdô, Shinshû, Nichiren… et beaucoup de branches et sous-branches). C’est un FAQ du site officiel du Makkô Hô qui m’a mis sur la piste. Une question fréquemment posée au Japon est apparemment de savoir s’il y a un lien entre le Makkô Hô et la religion. La Fondation officielle s’en défend : il n’y en a pas, le Makkô Hô étant une fondation d’intérêt public reconnue par le Gouvernement et une pure méthode de santé. Mais il est vrai, précise le site, que le fondateur, vu les origines bouddhistes de sa pratique, l’avait appelée au début nembutsu gymnastics (nembutsu taisô 念仏体操).
Le nembutsu, c’est cette formule du Bouddhisme de la Terre Pure qu’il suffit au croyant de répéter pour y entrer après sa mort : Nami Amida Butsu, ce qui signifie adoration au Bouddha Amida (Bouddha de la Vie et de la lumière éternelle, infinie). Et comme c’est une caractéristique du Bouddhisme japonais de se séparer en de multiples branches et écoles (le mot ‘secte’ souvent employé est mal choisi), il convenait de vérifier si le temple Shôman Ji près de Fukui, tracé comme le temple d’origine de Wataru Nagai, était donc bien en rapport avec la Terre Pure. Il l’est, mais de l’école Shinshû (et même encore une branche importante de celle-ci, appelée Ôtani-ha), fondée au 13ème siècle par un moine nommé Shinran. Donc, le Makkô Hô a bien une origine spirituelle, localisée dans le Bouddhisme de la Terre Pure – école Jôdô Shinshû – Temple de Shôman Ji près de Fukui.
En quoi est-ce intéressant, sinon pour comprendre l’esprit qu’il y a à la base de ces exercices et qui, forcément, habitait le fondateur ? Qu’est ce qui caractérise les Bouddhistes de l’obédience Shinshû ?
- Les croyants du Shinshû répètent le nembutsu, Nami Amida Butsu, car ils renaîtront après leur mort dans le Paradis de la Terre Pure, devenant ainsi un Bouddha. Il s’agit donc d’un acte de foi, sans demande précise, sans mérites à acquérir par de longues études ou de longues méditations. Le nom d’Amida contient l’idée de sauver tous les hommes. Prononcer le nembutsu est exempt de toute impureté, et permet de comprendre que nul ne peut agir comme s’il était un sage. Cela donne la paix de l’esprit. Mais attention, il n’y a pas de dieu et il y a, surtout, une différence essentielle avec le Zen, qui n’accorde pas de foi dans un principe de force extérieure.
- Les bonzes eux-mêmes vivent la vie du monde et disent qu’il faut vivre ‘selon les usages honnêtes de son temps’ (dixit Emile Steinilber-Oberlin, ‘Le Bouddhisme Japonais’) : les religieux se marient, mangent de la viande, du poisson… pas de pratiques extrêmes ou inaccessibles au commun des mortels absorbé dans le monde moderne.
- Cette pratique s’adresse par conséquent aux gens simples (sans dénigrement aucun), menant une vie dans le temps et dans le monde et qui n’ont ni le temps ni les moyens de rester longtemps sur un coussin ou de se perdre dans les subtilités métaphysiques.
- L’amour inconditionnel d’Amida pour les hommes et la gratitude qu’il engendre dans les cœurs sont des éléments opérants et fondamentaux de moralité, qui se suffisent. Chacun juge pour lui-même.
Voici donc quelques éléments du terreau dans lequel s’enracine le Makkô Hô, car son premier promoteur baignait dedans : on comprend mieux la traduction to look straight forward dans une optique de Terre Pure. On comprend aussi que ces exercices sont simples, accessibles à tous, ne demandent pas d’efforts particuliers ou de grandes compétences, ne prennent pas de temps, contiennent l’idée de faire ce qu’il faut pour soi-même et permettent à la gratitude et à la joie de s’exprimer.
Coïncidence ? En lisant en Anglais le site japonais du Makkô Hô, un intéressant glissement sémantique m’apparaît, puisque le Pure Earth Buddhism a engendré une pure health method.
Unité corps-esprit
On comprend aussi que le corps exprime par sa posture un état intérieur et, inversement, l’action sera autant sur le corps que sur l’esprit (au sens large), puisqu’il s’agit au départ de saluer pour exprimer sa gratitude. Renforcer le corps et l’esprit, donc, afin d’aborder directement les choses et de vivre positivement sa vie. Partager la joie de sa bonne santé, dit le site officiel. Voilà qui nous ramène à la joie du Cœur qui s’exprime pleinement quand les organes fonctionnent harmonieusement.
La pratique quotidienne de ces exercices vise ainsi plusieurs effets :
- L’anti-vieillissement, problème spécifiquement japonais. C’est possible par la souplesse et la bonne humeur. J’ai vu au Japon, il est vrai, beaucoup de Japonais(e)s âgé(e)s cavaler comme des lapins dans les escaliers de temples en devisant joyeusement. Le vieillissement s’exprime par l’atrophie, suite à un mauvais usage ou trop peu d’usage du corps.
- Le travail se situe autour du tanden, des hanches, du sacrum, de la colonne vertébrale et du rééquilibrage symétrique du pelvis.
- La respiration est fondamentale.
- Les effets portent sur l’état des articulations, la souplesse, la posture, la circulation sanguine, la respiration, le système nerveux.
- Quel que soit son état, on va progresser sans heurts, jusqu’à retrouver la souplesse naturelle d’un enfant.
- L’aspect de la gratitude envers la vie et de la joie de pratiquer sont fondamentaux. C’est une pratique joyeuse.
Quatre exercices seulement
La capture d’écran du site officiel du Makkô Hô au Japon nous présente l’essentiel dans un style japonais contemporain un peu naïf, mais efficace. Même sans lire le Japonais, on comprend par le graphisme. Il ya quatre exercices de 3 minutes chacun qui font du bien à Monsieur et Madame quand ils sont stressés au travail, broient du noir ou éprouvent un manque de chaleur vitale. Et il y a là-derrière toute une organisation avec des niveaux de Makkô Hô, des cours collectifs à suivre à prix démocratique.
- Le nr 1 travaille sur l’ouverture du pelvis et serait en rapport avec une façon ancestrale de s’asseoir.
- Le nr 2 consiste à saluer, mais assis
- Le nr 3 ouvre l’intérieur des jambes
- Le nr 4, c’est du back bending, s’incliner en arrière et du wariza, une assise (suwahiro) basse entre les pieds.
En travaillant tout cela, ne pas oublier harakokyu, respirer (ko expirer kyu inspirer) dans le ventre.
Voilà qui nous paraît familier, puisque :
- Dans la série dite Makkô Hô de M. Masunaga, le nr 1 correspond pile à Cœur / Intestin Grêle, le nr 2 à Vessie / Reins et le nr 4 à Estomac / Rate.
- Quant au nr 3, on le retrouve intégralement chez M. Kawada, dans sa série d’étirements des Vaisseaux Curieux, où il correspond au Liaison Yang.
Ne dites plus Makkô Hô pour M. Masunaga mais Keiraku Taisô
L’attribution de ces étirements à des méridiens est par contre ultérieure et ne correspond pas à l’esprit initial. On ne peut donc pas appeler les étirements de M. Masunaga du Makkô Hô, malgré le mythe tenace qui nous poursuit en shiatsu.
Cette appellation erronée n’est d’ailleurs aucunement imputable à M. Masunaga lui-même, puisque, à la lecture de son livre, on ne trouve nulle part la mention Makkô Hô, mais bien exercices de base ou exercices fondamentaux. Il s’en est inspiré (vu leur apparition en 1948), mais ne les mentionne pas dans ses sources, puisqu’il cite comme objet d’étude :
- Les textes anciens Chinois base de l’acupuncture, comme le Su Wen
- Les travaux de ses contemporains M. Michizô Noguchi, auteur d’une méthode d’exercices nommée Noguchi Taisô (une des bases ultérieures d’une des premières écoles de Butô, le Sankai Juku d’Ushio Amagatsu) et le Dr Yoshinaru Fujioka, psycho-sociologue japonais réputé pour son travail sur les images mentales
- Les exercices de Do In et d’Ankyo (d’origine chinoise)
- Le Yoga
- La gymnastique…
Et donc, le meilleur nom que l’on puisse donner aux étirements de M. Masunaga, c’est gymnastique des méridiens, ce qui se dit en Japonais Keiraku Taisô 経絡体操
En arrêtant de qualifier de Makkô Hô les Keiraku Taisô, vous ne rétablissez pas seulement l’exactitude historique, mais vous faites plaisir aux praticiens du vrai Makkô Hô, qui doivent apparemment expliquer que leur pratique n’est pas liée au shiatsu ou aux méridiens.
Spécificité japonaise
Un dernier mot sur le Makkô Hô. Ses éléments constitutifs sont culturellement bien Japonais :
- Le salut, pas seulement les différentes formes de ‘rei’ dans les arts martiaux, mais question d’étiquette dans la vie quotidienne… En s’inclinant, on témoigne son respect… avec beaucoup de gradations.
- L’assise, pas seulement dans un temple Zen à faire du ‘shikantaza – simplement s’asseoir’, mais comme posture fondamentale du corps dans la vie, et dans la verticalité Ciel / Terre.
L’intérêt du Makkô Hô est qu’il a été trouvé sur base d’une expérience et d’un ressenti, et non emprunté à un fond existant d’exercices. Cette démarche empirique est semblable à l’esprit qui nous anime en shiatsu.
Pratiquons
Pratiquer régulièrement les quatre exercices proposés par M. Nagai procure par ailleurs de réels bienfaits, détend, assouplit et renforce le Foyer Inférieur. Cette série se suffit donc à elle-même, en dehors de toute stimulation de méridiens.
Pour vous imprégner de l’esprit des origines… plus qu’à regarder.
Voici une vidéo de Makkô Hô tel que pratiqué au Japon :
https://www.shiatsu-france.com/article-video-makko-ho-familial.html
Ou encore ce praticien qui propose des enchaînements pour préparer les mouvements
L’auteur de cet article
Stéphane Cuypers
Stéphane Cuypers est praticien de shiatsu à Bruxelles.
Formé par Maître Kawada à la Yoseido Shiatsu School, il continue à apprendre en permanence auprès de professeurs d’horizons divers, comme Toshi Ichikawa, Wataru Ohashi, Stéphane Vien, Bernard Bouheret, Jean-Marc Weill…
Considérant le shiatsu en tout premier lieu comme un art japonais, et une pratique empirique inclusive, il partage volontiers ses réflexions sur le Blog intitulé Le Shiatsu, un art japonais disponible à l'adresse : https://shinmonshiatsu.blogspot.com/
Pour tout savoir visitez le site Internet Shinmon Shiatsu disponible à l'adresse : http://www.shinmon-shiatsu.be/
Lectures
Emile Steinilber-Oberlin : le Bouddhisme Japonais
© Tous droits réservés Shiatsu-France.com
D'autres articles sur la même thématique
- La Médecine Japonaise Kampo : la médecine traditionnelle kanpōyaku
- Taiso ou Sotai, j'en perds mon latin ! : gymnastique du corps, taiso et sotai
- Le shiatsu produit de l'ocytocine : l'hormone de l'attachement et de la tendresse
Partager cet article de shiatsu sur : Twitter Facebook Instagram Linkedin Par email