Acupression abdominale Ampuku. Les racines du Shiatsu par Philippe Vandenabeele
Auteur : Publié le 22/03/2022 à 20h25 -Praticien expérimenté de Shiatsu, j'habite dans la ville de Fukuoka, au Japon. J'occupe le poste de Directeur du Shinzui Bodywork International Institute à Fukuoka. J'anime des cours d’Ampuku en ligne sur Internet et en Europe lorsque je me rends notamment à l’école Shinzui Shiatsu située en Belgique. Aujourd'hui, je vous parle dans cet article de l'Ampuku et des racines du Shiatsu.
« Chaque être vivant qui se trouve dans le cosmos est animé par le flux ininterrompu du Ki ou force de vie. Il en résulte que même une petite stagnation peut causer la maladie ou, dans le cas d’un blocage, la mort. » (Ampuku Zukai).
Mon expérience personnelle avec l’Ampuku commença quand je suivais ma première formation de Shiatsu. Une technique sur le Hara dans le premier kata de Shiatsu attira particulièrement mon attention. Plus tard, j’appris davantage sur le Hara, son importance pour notre bien-être général et sa signification dans les arts classiques japonais. J’appris aussi qu’il y a des praticiens au Japon qui traitent uniquement le Hara et que ce traitement s’appelle Ampuku. Au cours de ma première formation de Shiatsu, j’accordai beaucoup de temps à l’apprentissage du diagnostic du Hara mais, à mon grand étonnement, peu de temps était consacré effectivement au traitement direct du Hara.
Quand je devins un praticien de Shiatsu diplômé avec une patientèle importante, je faisais mon possible pour aider mes patients. En même temps, j’étais encore aux prises avec la compréhension du diagnostic du Hara que j’avais appris. Il y avait aussi quelque chose qui me frustrait encore davantage. D’une certaine manière, je savais qu’il me manquait un certain nombre de techniques essentielles pour utiliser plus efficacement le Shiatsu. Dans le passé, ces techniques existaient mais je n’avais encore trouvé personne qui pouvait me les enseigner. Je devais chercher où je pouvais en apprendre davantage sur ces techniques importantes.
Bien que j’aie trouvé dans le livre « Zen Shiatsu » de Shizuto Masunaga différentes références dans lesquelles l’auteur insistait sur l’importance de l’Ampuku dans la pratique du Shiatsu, l’accent était de nouveau mis surtout sur le diagnostic du Hara, mais les réelles techniques d’Ampuku n’étaient pas vraiment approfondies. Ce que j’ai retenu de la lecture du livre de Masunaga et de ma formation était que ces techniques d’Ampuku étaient très importantes pour la pratique du Shiatsu, mais qu’elles sont considérées comme « très avancées et difficiles à apprendre ». Masunaga a écrit : « L’Ampuku est une partie très importante du Shiatsu et peut énormément contribuer à l’aide aux personnes gravement malades et aux patients qui ont besoin d’une manipulation calme mais intrusive. La thérapie Ampuku ne veille pas seulement à ce que le patient reste calme : elle restaure aussi le fonctionnement interne du patient ». Cette lecture excita ma fantaisie et ma curiosité, et je voulus en savoir davantage.
En 1995, je visitai la Thaïlande sur ma route vers un cours intensif de 3 mois en Australie. En Thaïlande, je rendis visite au Tao Garden (qui venait de s’ouvrir) du Maître taoïste Mantak Chia et je reçus son livre sur le Chi Nei Tsang tout juste paru alors. J’avais enfin trouvé plus d’informations sur le traitement direct du ventre. Durant mon séjour en Australie, je dévorai ce livre et décidai que sur le chemin du retour vers l’Europe depuis l’Australie, je devais me rendre de nouveau en Thaïlande pour voir si je pouvais y apprendre davantage. Lors de mon retour à Chiang Mai, je partis à la recherche de praticiens qui pouvaient m’en apprendre plus. Je suis finalement resté 6 mois pour absorber toute la sagesse possible des praticiens très compétents que j’ai rencontrés là, pour lesquels le corps et surtout le ventre n’avaient pas de secrets. Quand je revins en Europe, je déménageai en Suède et j’ouvris une pratique de Shiatsu à Stockholm. En appliquant mes techniques de Chi Nei Tsang nouvellement acquises, je pus consacrer plus de temps à la libération et au renforcement de l’abdomen de mes patients, ce qui résulta en des résultats meilleurs et plus durables. Je notai qu’un autre avantage important de consacrer plus de temps au traitement du ventre était que le diagnostic du Hara commençait à devenir plus logique pour moi. Finalement, il devenait plus simple de lire le Kyo et le Jitsu dans le ventre de mes patients !
Sous la conduite de Dirk Oellibrandt, qui avait été un de mes professeurs de Shiatsu en Belgique et qui visitait régulièrement la Scandinavie pour y donner des leçons de Shin Tai et de Shiatsu, je poursuivis mon étude. Plus tard, je devins directeur de son école de bodywork en Suède. Dirk est aussi un professeur très expérimenté de Chi Nei Tsang et, grâce à ses nombreux contacts, je pus inviter en Suède des professeurs comme Mantak Chia, Henny Eleonora, l’ostéopathe et fasciathérapeute Frans Deprez, Hilde Verhulst et Helga Wohlmutter. L’ostéopathe belge Helga Wohlmutter vint dans notre école où elle prodigua une formation extraordinaire de Chi Nei Tsang. Le travail subtil et approfondi d’Helga m’a énormément inspiré et m’a aidé à considérer le traitement du ventre d’une tout autre manière. Il en résulta que je commençai à explorer le monde de l’ostéopathie viscérale et l’oeuvre de l’ostéopathe français Jean-Pierre Barral ainsi que des nombreux professeurs du Barral Institute.
Bien que j’aie découvert comment je pouvais aider mes patients de manière plus efficace et que j’aie appris des approches différentes et des formes alternatives pour observer et traiter le ventre, je voulais toutefois apprendre les techniques d’Ampuku provenant de la tradition du Shiatsu. A l’école de Shiatsu Iokai de Tokyo, j’appris que Masunaga avait publié plus de livres que ce que j’avais initialement imaginé. Certains n’étaient pas disponibles en anglais, dont son oeuvre maîtresse « Keiraku to Shiatsu » contenant plusieurs longues références à « l’Ampuku Zukai ». Ceci était une confirmation que j’étais sur la bonne voie. Dans le « Keiraku to Shiatsu », Masunaga se réfère abondamment à « l’Ampuku Zukai » de 1827 comme « le » classique de ce qui formera plus tard la base du Shiatsu. Masunaga s’identifiait fortement à l’auteur de ce classique qui voulait rétablir les valeurs profondes dans la période Edo tardive, comme Masunaga dans les années soixante, et à ses yeux la vraie signification du Shiatsu et du diagnostic qui sont enracinés dans la tradition de la médecine d’Asie orientale. Masunaga alla si loin dans son admiration pour l’Ampuku Zukai qu’il le redessina complètement au cours de l’ère Meiji et qu’il publia en 1887 une seconde édition de l’Ampuku Zukai, écrite dans une langue plus accessible, en y ajoutant une introduction.
Quand je pus finalement me procurer un exemplaire de la première édition de l’Ampuku Zukai de 1827 et que j’eus trouvé des praticiens qui pouvaient montrer les techniques de ce livre de la fin de la période Edo, je pouvais finalement apprendre davantage d’Ampuku. Après quelques années, je trouvai aussi les académiciens qui pouvaient m’aider à comprendre le style ancien dans lequel c’était écrit et ses subtilités, et commença alors le long processus de la traduction ainsi que la tentative de comprendre ce texte ancien et important. Je suis heureux de pouvoir dire que je fus à même, avec l’aide inestimable de mon épouse Hiroko, de proposer la première traduction complète en anglais de l’Ampuku Zukai en novembre 2020. Maintenant, en novembre 2021, la version néerlandaise est finalement aussi disponible. Dans ce livre, le lecteur trouve les illustrations de la première édition originale d’Ota Shinsai. Sont également comprises dans le livre les traductions des chapitres relatifs au Fukushin et à l’Ampuku provenant de l’Anma Tebiki, un autre classique important dans l’histoire de la thérapie manuelle au Japon.
Je veux maintenant partager avec vous, chère lectrice et cher lecteur, un certain nombre de sujets que j’ai appris au cours de ma quête de l’Ampuku:
- L’Ampuku comprend le corps entier : contrairement à ce qu’il m’avait été raconté, je découvris avec étonnement que, bien qu’un accent particulier soit mis sur le travail du ventre, l’Ampuku traite le corps entier. Ceci devient clair à la lecture de l’Ampuku Zukai. Ce qui se trouve dans ce classique, avant le chapitre sur le véritable travail abdominal, est une explication sur les 3 groupes de techniques qui sont utilisées sur le corps entier, accompagnées d’illustrations de praticiens qui traitent les articulations des bras, des jambes et des pieds. Ensuite viennent les différents chapitres qui décrivent les Katas ou les protocoles selon lesquels le corps entier doit être traité en positions ventrale, dorsale et latérale, avant que le livre se poursuive avec les techniques du ventre. Ce qui est important à souligner est que ces techniques sont liées au véritable travail abdominal et sont considérées comme tout aussi importantes que ce dernier. Une fois que la praticienne ou le praticien est expérimenté, elle ou il ne doit plus suivre l’ordre indiqué dans le livre. L’auteur nous raconte comment nous devons travailler dans le ventre et évoque les endroits dans le ventre où un manque ou un excès d’énergie ki peut se loger, ainsi que le traitement des régions correspondantes sur le dos. Ceci, en plus de ce que j’ai appris des praticiens avec lesquels j’ai étudié, me prouva que l’Ampuku est véritablement un traitement holistique par lequel le corps entier est concerné.
- Il y a 13 techniques d’Ampuku au sein de l’Ampuku Zukai. Dans le chapitre sur le hara/travail abdominal, chacune des 13 techniques a sa propre illustration et son explication séparée. Ce qui est intéressant à constater est que les deux premières techniques, Bunpai et Bunroku, sont des techniques pour libérer la poitrine. Elles peuvent être traduites respectivement par "Elargissez et segmentez la cage thoracique" et "Partagez et élargissez les côtés gauche et droit de la cage thoracique". Le but du traitement est de libérer les tensions dans la cage thoracique et ainsi contribuer à libérer le diaphragme avant que nous puissions, comme praticien, traiter plus aisément le Hara. De cette manière, l’efficacité des techniques sur le ventre s’accroît. Ici aussi, il apparaît clairement que l’Ampuku est un traitement pour le corps entier et pas seulement pour le ventre.
- Il y a deux œuvres classiques d’Ampuku: bien que je me fusse concentré principalement sur l’Ampuku Zukai, je prenais conscience que dans la même période Edo tardive, un autre livre sur le travail corporel (plus spécifiquement sur l’Anma) avait été écrit. Cela a pris un certain temps avant que je puisse consulter ce classique écrit par Fuijibayashi Ryohaku et intitulé « Anma Tebiki » ou « Manuel illustré de l’art de l’Anma ». En lisant l’Anma Tebiki, je pris conscience que des techniques d’Ampuku y étaient mentionnées ! J’avais soudainement non pas une mais deux sources que je devais approfondir pour mes recherches.
Le coeur de l’Anma Tebiki est composé de 17 techniques d’Ampuku qui ressemblent fortement aux techniques décrites dans l’Ampuku Zukai. Certaines de ces techniques portent aussi le même nom, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement des mêmes techniques. Avec d’autres descriptions dans l’Anma Tebiki, elles nous aident à mieux comprendre les techniques de l’Ampuku Zukai ou elles nous offrent une autre perspective.
Le chapitre de l’Anma Tebiki sur les techniques d’Ampuku est précédé d’un chapitre illustré sur le Fukushin. Le chapitre sur le Fukushin ou diagnostic du Hara stipule que le praticien « après l’apprentissage du massage Doin/massage curatif, doit apprendre les techniques d’Ampuku » et que « même si sa technique de Doin est parfaite, le résultat espéré ne pourra pas être atteint sans connaissance des maladies qui se déclarent dans le ventre ». Dans l’introduction du chapitre sur l’Ampuku, Fujjibayashi Ryohaku écrit : « Dès que le praticien a compris les maladies dans le ventre en étudiant les illustrations précédentes qui montrent comment le Fukushin doit être exécuté, il doit utiliser l’Ampuku pour guérir ces maladies. » Il y a aussi un avertissement sévère : « Si le praticien n’est pas suffisamment compétent, cela endommagera plutôt les organes au lieu de les guérir. L’Ampuku peut uniquement être appliqué après un entraînement étendu, non précipité et approfondi. » Cet avertissement est encore toujours valable ! L’Ampuku ne peut pas uniquement être appris dans les livres.
- Vers le milieu du 19 ème siècle, l’Ampuku Zukai atteignit Londres ! Je veux volontiers partager cette histoire pour clôturer car beaucoup de personnes de notre communauté Shiatsu ne la connaissent probablement pas. Cette histoire provient de l’introduction de la seconde édition de l’Ampuku Zukai de 1887:
« Il y avait un Américain qui séjournait à Yokohama. Il loua les services d’un doin-ampukushi et retourna dans son pays avec le thérapeute-masseur. Chez lui, l’Américain laissa son praticien d’Ampuku donner des traitements à d’autres Américains. Ils étaient tout à fait impressionnés par ses techniques. Depuis lors, des professionnels de la médecine aux Etats-Unis et en Europe sont vivement intéressés dans la méthode japonaise de massage. Totsuka Kankai, un chirurgien japonais de l’hôpital St. Thomas à Londres, demanda dans une lettre à Kumaya Kan, un chirurgien de la marine qui habitait au Japon, des livres ou publications sur la chiropractie et les techniques japonaises de massage. M. Kumaya les chercha dans tout le Japon, mais découvrit qu’il était impossible d’en trouver beaucoup car il n’y avait que peu de documents écrits sur ces traitements. Il était dommage qu’ils ne disposent pas de plus de matériel écrit sur ces traitements qui font partie de la médecine traditionnelle et constituent une connaissance fondamentale pour les médecins au Japon.
Un beau jour, monsieur Kumaya eut par hasard l’opportunité de rendre visite à Saito Yoshizo, un praticien, et il lui raconta son aventure. Quand il entendit l’histoire, monsieur Saito fut particulièrement déçu et dit : « C’est dommage qu’il n’y ait que peu de livres disponibles. Le traitement va peut-être disparaître. Toutefois, je me sens honoré d’entendre que nos capacités sont appréciées à l’étranger. » Après la conversation, il donna à monsieur Kumaya un livre portant le titre Ampuku Zukai, qu’il s’était réservé. Monsieur Kumaya a immédiatement envoyé ce manuel à Londres.»
Il y a encore beaucoup plus à raconter, beaucoup de personnes et encore davantage de livres que j’aurais dû citer, mais j’espère que cette courte introduction dans le monde de l’Ampuku a éveillé l’intérêt du lecteur pour en savoir plus sur l’Ampuku et les racines du Shiatsu.
Personnellement, mon implication dans les classiques du Shiatsu m’a donné plus de confiance dans la profondeur et le travail de notre médecine manuelle. Merci de tout coeur pour votre attention.
Il propose aussi des cours intensifs et des leçons privées pour des petits groupes dans son école de Fukuoka. Consultez son site web pour obtenir les dernières informations : www.shinzui-bodywork.com
Pour les personnes qui veulent en apprendre plus sur l’Ampuku, le livre de Philippe « Acupression abdominale Ampuku: travail du corps japonais, les classiques » est maintenant disponible en anglais et en néerlandais via Amazon.
Anpuku Zukai
Anma Tebiki Ampuku
© Philippe Vandenabeele
© Shiatsu France
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