Chronique philosophique par Chris Mc Allister et Bart Bloemers
Auteur : Publié le 06/12/2020 à 08h03 -Chris McAlister, président de la Fédération Européenne de Shiatsu (ESF) et Bart Bloemers, organisateur du dernier Congrès Européen de Shiatsu, du 4 au 6 septembre 2020 à Amsterdam, publient ici une chronique originale et philosophique. Cet essai qui s'intitule en anglais «The Box and the Stream» a été pensé un soir de ce fameux Congrès Européen. C'est un texte de réflexion sur deux notions, une boîte et un ruisseau, et dont l'objet est la comparaison entre l'enfermement limitant, dans lequel on peut s'enferrer, et le souffle du mouvement, l'appel à une vie créative, libérée. Une parabole des plus inspirantes pour redonner du souffle à une pratique quotidienne professionnelle du shiatsu, bouleversée par la récente crise sanitaire.
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Deux hommes sont réunis dans une église désacralisée à Amsterdam un soir du mois de septembre. Ils sont entourés d'amis et collègues, certains assis, d'autres marchant autour d'eux. L'un des deux hommes vient d'animer un atelier sur le thème des « Quatre Mers ». L'autre homme est l'un des principaux organisateurs de l'événement ayant accueilli cet atelier. Ils échangent autour des questions d'organisation, de planification et d'exécution. Ce congrès a rencontré de nombreuses difficultés de planification et surtout d'exécution, et malgré la contrainte des normes actuellement en vigueur, a remporté un succès fou.
La conversation prend alors un tour plus métaphorique - ils discutent des différences entre boîtes et ruisseaux ! En particulier de l'importance de ne pas être limités par les boîtes mais d'être libres de pouvoir suivre le courant du ruisseau. Les deux hommes se laissent euphoriquement emporter par leur réflexion sur les points communs et dimensions que le sujet suscite.
Quelle est la nature de la boîte ? Sa structure est clairement définie et distincte. Elle est déterminée et relativement immuable. Un sol, des murs et même un couvercle pour la plupart. Cela induit un espace libre mais un espace fini. Ses limites sont clairement définies. Celles-ci ne peuvent être repoussées que par l’usage de la force. La structure reste à sa place, est entièrement sécurisée et est, en soi, complètement vide.
Le ruisseau offre un contraste sur tous les plans. Il est un flux d'énergie et ne reconnaît en définitive aucune frontière. Sa structure ne comporte aucun cloisonnement mais accepte les limites de son contexte actuel à mesure qu'il se déplace et se transforme. Le ruisseau se déplace continuellement et s'il devait cesser de bouger, il cesserait d'exister.
La boîte est complètement fiable dans un cadre clairement défini et limité. Le ruisseau est totalement imprévisible, excepté dans deux aspects intrinsèques : l'humidité et le mouvement. Nous n'avons aucune idée de l'endroit où le ruisseau nous mènera mais nous savons avec certitude ce que la boîte offrira dès que nous examinons son contenu.
En prolongeant notre métaphore, nous pourrions faire quelques déductions sur les comportements de type "boîte" et une existence simplifiée.
Vivant selon les règles de la boîte, nous nous appuyons sur la logique et la déduction. Nous travaillons à partir de ce qui est et construisons nos schémas de pensée logiques sur ce qui peut être déduit de manière fiable. Nous restons dans les limites de ce qui est et de ce qui peut être construit en conséquence.
Lorsque nous vivons le long du ruisseau, nous sortons de notre zone de confort pour nous diriger vers l'inconnu. Nous pouvons poser des probabilités mais n'avons aucune certitude quant à son fonctionnement. Nous nous déplaçons avec le courant mais nous ne pouvons pas prévoir où, ni quand nous arriverons.
La boîte nous contraint, pour créer de la confiance. Elle nous donne la sécurité et le sentiment que le sol ne se dérobe pas sous nos pieds. Cette limitation de liberté nous procure une sensation de protection. Elle nous apporte de la solidité et semble faire résonner en nous quelque chose de connu - ce que nous savons déjà, dans lequel nous avons confiance.
Le ruisseau nous emporte dans son courant et nous emmène dans des lieux inconnus. Il révèle la vie à son approche avec toute sa fraîcheur et son originalité. Nous ne pouvons savoir ce qui se prépare car rien n'encore advenu. Les formes sont floues et les horizons inconnus.
Bercés par la boîte, nous scrutons chaque détail de la carte avant d'avancer. Nous prévoyons et construisons des plans basés sur des faits. Nous désirons le mode d'emploi qui décrive chaque étape l'une après l'autre. Nous tentons de trouver les solutions à l'avance - avant que le processus n'ait commencé.
Surfant sur le ruisseau, le paysage est révélé au fur et à mesure qu'il est formé. La carte ne peut intégrer les éléments en constante mutation qui surgissent en temps réel. Le présent est continuellement remplacé par une nouvelle version de lui-même, puis une autre encore et une autre. Faire le point devient un moment en mouvement, rapidement rendu obsolète par la création qui ne cesse de se déployer.
L'organisation peut apparaître comme une fonction de la "pensée en boîte" : Que voulons-nous accomplir ? De quelles ressources disposons-nous ? De quoi d'autre avons-nous besoin ? Quelles sont les premières mesures à devoir être prises ? Quelles autres après cela ?
C'est une image totalement illusoire de la façon dont les choses se passent réellement. Ce que nous voulons réaliser est le fruit d'une vision instantanée. Cette vision est la cristallisation de mille instants et concrétisations. Elle se modifie avec le souffle et en fonction du déroulement du processus. Chaque essai de planification et de prise de décision est en outre un acte de création, découlant de l'énergie en interaction avec le moment, en constante évolution.
En restant dans la boîte, nous limitons nos possibilités à une logique de déduction. Chaque étape doit découler de l'actuel possible. Les limites de la boîte illustrent les limites du processus de pensée disponible. Nos plans sont limités à ce que nous pouvons prévoir et déduire des ressources déjà existantes.
En suivant le courant, nos horizons sont illimités. Les possibilités se multiplient à mesure des respirations et de la circulation de l’énergie. Les vues s'élargissent et le ruisseau s'écoule d'instant en instant. Au fur et à mesure que le flux progresse, les perspectives changent. Rien n'est constant ; rien excepté le changement lui-même.
Vous pouvez soutenir que la boîte semble proposer une plateforme stable, constituant un endroit sûr pour démarrer et clairement sécurisé. Nous pouvons découvrir les ressources qui sont à notre disposition et prendre les mesures qui semblent possibles à partir des ressources disponibles. Tout cela est sans aucun doute vrai. Le danger réside dans la confiance dans la boîte qui pourrait également contenir le processus et la créativité pour avancer.
Le courant peut sembler dangereux - n'est-ce pas comme sauter dans le vide, abandonner toute certitude et sécurité, toute connaissance de l'endroit où nous finirons, tout vestige de contrôle ? Certes il s'agit de tout cela dans une certaine mesure, mais ce serait se focaliser sur les aspects négatifs du ruisseau. Ce serait ignorer que le ruisseau peut vous emmener dans des endroits que vous n'auriez jamais pu imaginer. Le ruisseau est plein de résonances, de suggestions et de possibilités. Il n'a pas de limites et n'accepte que les frontières temporaires les plus minimales au fur et à mesure de son évolution.
La boîte rapportera très certainement en fonction de ses contenus finis et ces contenus ne doivent certainement ni être niés, ni dénigrés. Les limites sont cependant claires et déterminées. Le courant est le royaume de l'infini, de l'inimaginé, du devenir possible dans l'instant.
Pour prendre part à notre propre processus de vie, nous ne pouvons pas rester dans les limites rassurantes de la boîte. Nous devons rejoindre et faire confiance à la puissance du ruisseau. Pour explorer les royaumes du possible, nous avons besoin de courage afin de sortir des zones connues de confort. Pour découvrir notre potentiel, nous devons ouvrir la porte, sortir de la boîte et entrer dans le ruisseau.
Quelques semaines plus tard, les deux hommes parlent à nouveau, cette fois par voie numérique. Des idées sont échangées et des plans sont établis. Les mots-clés et les phrases retranscrits par écrit, sont ensuite modifiés et renvoyés. Les idées mises en place s'intensifient, deviennent prose et poésie, image et description. Une première version est envoyée, retravaillée et enrichie de commentaires, et renvoyée une fois de plus. L'échange final apporte plus de couleur en bouche et aboutit à la dernière version.
Puissent les mots que vous lisez devenir la rampe de lancement du ruisseau au fur et à mesure qu'il progresse dans votre vie, et puisse le courant vous mener là où vous devez aller et pas nécessairement où vous souhaitez aller…
Chris McAlister et Bart Bloemers
Traduit de l'anglais par l'équipe Shiatsu France
© Tous droits réservés Shiatsu-France.com
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