Serge Rebois : du Kyusho au Shiatsu
Auteur : Publié le 25/01/2020 à 17h17 -Il existe des liens étroits entre la pratique des arts martiaux japonais et le shiatsu. Ce dernier comporte des manœuvres de massage de points cutanés, points clé ou points vitaux des kanji 急所 Kyusho. L'usage stratégique de ces points a été opéré dans le passé par des clans nippons, guerriers, samouraïs, ninjas pour combattre ou ... pour soigner. En ce début d'année 2020, je partage mon interview avec Serge Rebois, le Directeur Technique de l'association Kyusho Waza France.
Entretien avec Serge Rebois
Antoine Di Novi : Bonjour Serge Rebois, pour commencer l'entretien, pouvez-vous nous dire ce qui vous à amener sur la voie du shiatsu ?
Serge Rebois : Bonjour. Oui ok. Je suis venu au shiatsu par l’intermédiaire des arts martiaux. J’ai commencé par le judo, puis par une forme de jiu-jitsu qui s’appelle le Nihon Tai Jitsu. Et après je me suis intéressé aux points vitaux en fait.
ADN : D’accord.
SR : C’est l’utilisation des points « vitaux » dans la pratique des arts martiaux qui m’a en fait amené à la pratique du shiatsu. Avec notamment l’usage de principes de la médecine chinoise et donc à un moment donné avec une partie post-entrainement martial avec des techniques de réanimation dans le kyusho. Des techniques simples pas très développées puis de là j’ai souhaité pousser l’étude des techniques de soin et du coup je me suis inscrit à une formation de shiatsu. C’est venu par ce biais-là.
ADN : Par le biais des arts martiaux japonais ?
SR : Oui.
ADN : Vous avez donc commencé par le judo, c’était en quelle année ?
SR : J’ai commencé en 1982.
ADN : D’accord. Et du judo vous êtes directement passé au Nihon Tai Jitsu ?
SR : Oui, à la base c’est une forme d’Aikijitsu. Le Nihon Tai Jitsu vient de Mochizuki Sensei.
ADN : Ah oui ! Mochizuki Sensei le fondateur du Yoseikan Budo ?
SR : Oui on est « cousin » avec le Yoseikan Budo et l’école qui est venue avec Hiroo Mochizuki.
ADN : Et donc c’était en région parisienne ? Dans quel endroit ?
SR : Eh bien moi j'habite en Lorraine ; mon premier de club de judo était à côté de Metz. Ensuite, je suis parti à l’armée, je me suis inscrit à la fac où il y avait un club de Tai Jitsu avec des cours à midi. Et puis l’école de shiatsu c’est identique, je l’ai effectué près de Metz.
ADN : Ok très bien. En fait, je vous ai découvert à travers le travail de production de Lionel Froidure et les vidéos de Imagin TV arts. J’ai visionné différents contenus avec des extraits de vos stages. J’ai constaté que vous aviez une association la Kyusho Waza France. L’objectif de cette association est-elle de promouvoir à la fois le Kyusho et le Shiatsu ?
SR : Oui c’est cela. Au départ c’était vraiment pour le Kyusho puis au fur et à mesure, mes élèves étant de plus en plus demandeurs, on a commencé à développer la branche shiatsu. Pour arriver cette année à proposer des formations spécifiques.
ADN : Et cette association se trouve également en Lorraine j'imagine ?
SR : Oui.
ADN : Toujours, fidèle à la région ! [rires]
SR : [rires] Oui mais je donne des cours un peu partout, en France, au Luxembourg...
ADN : Ah oui, j’avais vu une vidéo d’un stage au Luxembourg. J’avais d’ailleurs été très étonné car des stages au Luxembourg ce n’est pas courant. C’est rare de voir des événements non ?
SR : Oui, mais cela bouge un peu. Il y a la Fédération Luxembourgeoise d’Arts Martiaux qui organise des stages et moi étant en quelque sorte relié à eux ; j’organise par exemple lors des vacances scolaires des stages shiatsu. Cela fait plus de 10 stages effectués.
ADN : Très bien. Alors pour en revenir au mot Kyusho. Cela veut dire point clé ? Comment vous le traduisez ?
SR : Nous on le traduit par point vital. Même si tous les points ne sont pas vitaux [rires] mais c’est comme cela que l’on traduit.
ADN : Parce que l’étude de ces points vitaux est basée sur quel système ? les japonais appellent cela les tsubos.
SR : Oui c’est cela
ADN : Bon. Heu. Disons que pour les arts martiaux vous utilisez les mêmes points soit pour frapper, immobiliser, mettre hors état de nuire, soit pour soigner ?
SR : Ce sont les mêmes points en fait. Si vous voulez, dans le Kyusho il y a la vision japonaise mais aussi une vision chinoise.
ADN : Ah bon ?
SR : La vision japonaise est très pragmatique. On n’utilise pas beaucoup de points mais ce sont des points très efficaces.
ADN : Par exemple, pourrait-on citer des points ?
SR : Ah, heu. On utilise beaucoup le point Poumon n°5
ADN : P5 ? donc cela se situe dans le pli de flexion du coude face antérieure, ligne externe.
SR : Oui, le point Vésicule Biliaire n°20 souvent, le point Estomac n°5…
ADN : Le point Estomac 5 ? ah oui au niveau de la mâchoire, ligne maxillaire inférieur
SR : Oui dans la vision japonaise c’est très « limité » alors que dans la vision chinoise, il y a des combinaisons. C’est plus accès sur la médecine avec des notions de cycles, contrôle, engendrement, pour pouvoir faire des « choses » sur le corps. Je travaille les deux, j’essaie de mélanger l’approche pragmatique et voir jusqu’où je peux pousser le truc.
ADN : Bien.
SR : Et en shiatsu, j’essaie de faire pareil.
ADN : Et donc le shiatsu que vous pratiquez, parce-que le shiatsu c’est une méthode vaste aussi qui se développe. Comment le qualifiez-vous ? Est-ce que c’est un courant précis ? Utilisez-vous des techniques particulières ?
SR : J’ai été formé dans une école où l’on enseignait le shiatsu Masunaga et Namikoshi. On pratiquait différentes techniques venant des deux courants. Et ensuite, j’ai incorporé des influences de pratiques comme le Yoga avec des exercices sur la synovie qui s’intègrent très bien dans le shiatsu. J’ai aussi fait une école Tan en acupuncture, en travaillant sur des équilibres de méridiens, le choix de travailler sur quatre méridiens comme l’enseigne Michel Odoul…
ADN : La technique des 4 aiguilles en rapport avec ces 4 méridiens ?
SR : En quelque sorte, on travaille sur quatre grands axes comme Shao yin, Shao yang, Tai yin et Tai yang. En fait, il y en a six. Dans ma séance de shiatsu, j’effectue des étirements, des pressions ; je choisis certains points. Après selon la personne qui reçoit, je fais un travail spécifique sur un méridien jusqu’à quatre méridiens.
ADN : Et l’association c’est Tan, T.A.N comme le facteur d’humidité dans la médecine chinoise ?
SR : En fait non, c’est simplement le nom Richard Tan. Il travaille beaucoup les points hors méridien.
ADN : Les points hors méridien ?
SR : Oui le principe de base est : il y a une douleur dans le corps, peu importe où elle se situe. On regarde quel méridien passe. Et en fonction, on va travailler des méridiens qui vont rééquilibrer le méridien « touché ». On travaille aussi sur les zones du corps. Par exemple, le poignet correspond à la cheville, le coude, etc. un travail en croisé comme on le voit souvent en shiatsu.
ADN : Hum…
SR : Dans le deux DVD que j’ai sorti, je développe cette pratique.
ADN : Et selon vos retours d’expérience de terrain et comme vous faites de la recherche avez-vous identifié des points plus ou moins efficaces, tout du moins des points qui fonctionnent vraiment ?
SR : Oui sur les étirements et mobilisations articulaires. Il y a aussi des choses évidentes sur certains grands points comme le 36 de l’estomac, heu. oui pas mal de choses..
ADN : Par exemple à propos du point n°36 de l’estomac, vous l’utilisez de différentes manières ?
SR : Surtout pour rebooster, pour une personne fatiguée. Il y a aussi les points avortifs où il faut être très prudent. Il m’est arrivé de m’en servir pour un accouchement, et cela marche du « feu de dieu ». Ce n’est pas anodin et il faut faire attention.
ADN : Quand vous dites servir un accouchement, c’était bien entendu en fin de grossesse ?
SR : Oui, oui, oui, quelques jours avant l’accouchement, j’ai fait une séance pour aider, et cela s’est très bien passé.
ADN : Vous faites cela en digitopression plutôt ?
SR : Oui, Oui.
ADN : Ok. Parce que c’est un véritable sujet, le shiatsu et la grossesse. La place du shiatsu auprès des femmes enceintes, de leur accompagnement. Est-ce que l’on peut faire du shiatsu ? Qu’est-ce que l’on peut faire en shiatsu ? Avec ces fameux points dits avortifs et les méridiens à travailler ou pas, l’énergie la faire monter et surtout ne pas la faire descendre, etc. Voilà de nombreux discours sur le sujet et c’est vrai que tout dépend de son approche, de la responsabilité que l’on porte, de ses connaissances. En France, il y a globalement un souci de formation c’est clair, que ce soit dans le programme ou le niveau de formation. L’offre est très peu développée et un discours mystifiant bien souvent adopté. Ce n’est que mon avis personnel.
SR : En fait ce qui se passe dans le shiatsu c’est pareil dans les arts martiaux. Et oui les gens cherchent le mystique, c’est un peu compliqué…
ADN : Est-ce que c’est le mystique ou le magique ?
SR : Les deux à mon avis. C’est pourquoi on arrive à des choses bizarres. Par exemple, il y a des « mecs » qui travaillent des K.O à distance. Ils ne touchent pas l’adversaire mais ils arrivent à le mettre K.O. Et c’est très présent dans le Kyusho. Au départ, j’ai voulu essayé. Car j’ai tendance à essayer les choses pour savoir si cela marche ou pas. Donc j’ai essayé et je confirme cela ne marche pas ! Au mieux, c’est une forme d’hypnose très basique. Quand on voit les spectacles d’hypnose de Mesmer qui teste la réceptivité des gens pour pouvoir appliquer ses protocoles et dans les arts martiaux c’est identique.
ADN : Vous portez donc un discours clair lors de vos stages ?
SR : Ah oui j’y tiens ! Même s’il y a encore des choses que je ne m’explique pas et que l’on expliquera peut-être un jour mais il y a beaucoup de choses qui tirent de la fabulation. De toute manière dès que l’on parle d’énergie, cela peut vite « déraper ». Comment définir l’énergie ? Qui ? Quoi ?
ADN : C’est un sujet voire LE SUJET. Rien que le mot. Selon comment on se positionne entres philosophie, science physique, spiritualité, ésotérisme, etc. Alors l’idéogramme Ki ou plutôt le kanji est défini clairement par les japonais. Le kanji se retrouve dans une multitude de mots et d’expressions. En fait, dans le « monde » de l’énergétique ou des soins énergétiques, l'intellectualisation de ce qu’est l’énergie au-delà des approches mécanistes c’est-à-dire physique, biophysique, biomécanique, biothermique, etc. est surtout occidentale car les orientaux, eux, ils pratiquent.
SR : C’est complétement cela. J’ai récemment croisé un ami d’origine japonaise pratiquant l’aïkido..
ADN : Qui ?
SR : Léo Tamaki
ADN : Ah oui c’est intéressant, j’allais vous en parler car j’ai visionné hier soir une vidéo de Karate Bushido où il échange avec Greg (combattant MMA)
SR : Justement, on en a parlé avec Lionel (Froidure) lors d’un master class, et dans cette fameuse vidéo, Léo Tamaki rappelle que le Ki c’est tout simplement l’intention.
ADN : Oui effectivement.
SR : Voilà. Quand on en parle avec certains maîtres reconnus, cela démystifie clairement cette notion de Ki. Et donc il faut savoir où placer son curseur. C’est vrai qu’en Occident, par exemple aux Etats-Unis, il y a des professeurs sérieux mais il y en a beaucoup... bon je ne dirai pas ici ce que j’en pense…
ADN : C'est vrai que les américains sont les "pros" du marketing ; ils aiment redéfinir les choses à leur manière. Les mots Kung-fu, Qi Gong, etc. sont des mots inventés aux U.S.A. Les chinois eux-mêmes n'avaient pas défini leurs pratiques. C'est très intéressant sur des plans culturels et étymologiques. On retrouve cela dans les pratiques méditatives, et bien entendu le shiatsu. Il y a même des Maîtres Japonais en shiatsu qui inventent des pseudo-trucs qui n'ont aucune origine sérieuse mais qui plaisent aux américains et donc aux européens. C'est ce travail de recherche et de démystification que nous devons essayer de faire. Et quand vous animez un stage, avez-vous des élèves de différents niveaux ? Je parle des élèves d’arts martiaux, il y a aussi différents gabarits ; est-ce que vous adaptez votre shiatsu ou vous imposez un cadre avec un style ? Je pense à des styles de shiatsu très doux ou d’autres au contraire durs.
SR : Je demande à mes élèves de s’adapter à la personne qui reçoit. Donc il y a des gens qui aiment un shiatsu un peu martial, plus en profondeur, plus rapide, plus dur et d’autres un shiatsu plus en douceur. Donc il faut que l’élève, celui qui donne, puisse s’adapter. Moi, je n’impose pas. Je dis aux gens de rester ouverts et à l’écoute, en shiatsu ou en kyusho. Souvent on fait un cours de Kyusho et on finit systématiquement par du shiatsu. Certains vont travailler le dos car c’est la demande qui a été faite, d’autres plutôt où ils ont pris un coup, à l’épaule, le coude, etc.
ADN : D’accord. Très bien. Quand vous enseignez le shiatsu, le programme contient-il beaucoup de théorie et de pratique ?
SR : La formation comme on l’a mise en place ne comprend pas de théorie. Elle passe par des vidéos et des livres que l’on fournit. Et on en parle un peu pendant les stages. Sinon tout est basé sur la pratique. Je souhaite que les gens pratiquent. La théorie c’est bien mais moi-même j’ai fait trop de théorie pendant mes études de shiatsu et cela m’emm…. Oui il faut faire des recherches pour la connaissance mais les gens viennent pour pratiquer.
ADN : Vous avez des livres en particulier ?
SR : On a écrit un carnet de formation avec toute la théorie que l’on demande.
ADN : Et donc cette théorie porte sur quoi principalement ?
SR : Des connaissances de base sur la médecine chinoise, les méridiens, les grands points, l’équilibre de méridiens, etc. et un peu d’anatomie.
ADN : Ce n’est pas une formation pour devenir un professionnel ?
SR : Pour le moment non. Mais plutôt shiatsu familial.
ADN : D’accord. Et comment avez-vous rencontré Lionel Froidure (Imagin’Arts tv), le producteur de vos DVD ?
SR : Lors de stage d’arts martiaux, toujours pareil [rires]. Lui faisait du karaté ; on a commencé par des DVD sur le Kyusho puis sur le shiatsu où mes professeurs de l’époque devaient participer mais après leur désistement je m’y suis collé !
ADN : Super. Avant de finir pourriez-vous donner quelques conseils à nos lecteurs étudiants et praticiens en shiatsu ?
SR : Les qualités principales pour faire un bon shiatsu sont selon moi celles de rester à l’écoute et être ouvert. Je n’ai pas de dogme sur les techniques à utiliser. Je pense qu'il ne faut pas hésiter à incorporer des techniques venant d’autres disciplines. Chose essentielle est la position de son corps et cela vient aussi des arts martiaux, la structure corporelle. Pour faire une bonne pression, je travaille beaucoup sur l’ouverture de la cage thoracique, le placement des coudes, la colonne vertébrale, les omoplates. J’encourage mes élèves dans ces postures. Pour faire un bon shiatsu il faut être bien structuré !
ADN : Merci beaucoup pour cette interview Serge.
SR : Merci. C'est moi.
Mini Portrait Chinois de Serge Rebois
Votre principal défaut ?
Je monte vite dans les tours ! mais je redescends aussi vite…
Votre occupation préférée ?
La Musique ou « glander »
Votre livre de chevet ?
L'encyclopédie du Dim-Mak ou souvent une revue sur la musique
Votre film préféré ?
Le Château de ma mère - Marcel Pagnol d'Yves Robert
Votre jour de la semaine ?
Dimanche
Votre devise ?
On improvise. On s'adapte. On domine. "Clint Eastwood dans le Maître de guerre" 1986
Kata shiatsu par Serge Rebois - Démonstration de Ken'Zen Shiatsu (shiatsu-france.com)
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