Mehdi Abid, expérience d'un praticien à la clinique Akahigedo de Tokyo
Auteur : Publié le 02/02/2021 à 08h16 -Beaucoup sont arrivés au shiatsu par la pratique d'un art martial japonais comme l'Aikido. Mais combien sont partis "à pied" avec leur sac à dos traverser l'Europe, la Russie, la Chine pour rejoindre les sources nippones des arts traditionnels ? Mehdi Abid est l'un d'eux. Praticien de formation d'ingénieur et passionné par les voyages, Mehdi intégre en 2016 la clinique Akahigedo de TAKEUCHI Nobuyuki située à Tokyo. TAKEUCHI Sensei est un homme japonais à la fois atypique et érudit. Il enseigne la médecine traditionnelle japonaise et une méthode manuelle qu'il a fondé : le Yin Shiatsu. Mehdi nous dévoile ce qu'est le Yin Shiatsu et partage dans cette interview son expérience et ses relations avec le Maître.
Entretien avec Mehdi ABID
Antoine Di Novi : Bonjour Mehdi, merci de partager votre témoignage sur notre site Shiatsu-France.com
MA : Bonjour Antoine, c’est un plaisir de pouvoir faire part de mon expérience, merci à vous de m’avoir contacté.
ADN : Rappelons pour commencer que vous êtes praticien yin shiatsu à Strasbourg. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre parcours professionnel et comment en êtes-vous venu à pratiquer du shiatsu ?
MA : Comme pour beaucoup de praticiens, il s’agit pour moi d’une reconversion. Il faut savoir persévérer mais aussi changer d'avis… J’ai à la base une formation d’ingénieur mais je n’ai exercé que quelques années.
C’est d’abord au travers de l'Aïkido que je me suis intéressé à la culture et à la pensée japonaise, à une conception orientale du corps et de l’esprit. Et c’est une initiation au cours d’un stage qui m’amène à découvrir le shiatsu.
Sans connaître à l’époque la parenté historique entre arts martiaux et arts thérapeutiques, il y avait pour moi une continuité logique à la pratique martiale, si ce n’est la même "Voie". La connexion des énergies, le travail ancré mais en souplesse à partir du Tanden, en accord avec le souffle… D’autres ont bien mieux parlé de ce sujet.
J’ai donc entamé une formation dans l’école de Kansetsu Shiatsu (Shiatsu des articulations) d’Hervé Eugène qui enseignait à l’époque près de Tours. Il a d’ailleurs fait l’objet d'une belle interview sur ce même site que je vous invite à découvrir si ce n’est pas déjà fait.
Je garde un bon souvenir de cette formation qui m’a donné les bases en Médecine Chinoise, un apprentissage du toucher et des techniques présentées par Hervé. Mais il y a comme pour la plupart des formations en France un manque de pratique clinique.
J’étais également à la recherche d’un système d’enseignement plus direct, de maître à disciple, que je trouve plus adapté à l’apprentissage du shiatsu. A la fin du cycle d’étude, Hervé m’a donc conseillé de partir me former à la clinique Akahigedo de Tokyo dans laquelle il avait lui-même fait un bref passage.
ADN : Le Directeur de cette clinique est bien Takeuchi Nobuyuki ? Takeuchi Sensei est je crois le fondateur d’un keiraku shiatsu appelé Yin Shiatsu ?
MA : Oui effectivement. C’est auprès de Takeuchi Sensei que je me suis formé. Je l'appellerai par la suite Inchō (院長 - Directeur) par habitude.
C’est le fondateur du Yin Shiatsu, une méthode qu’il a mise en place dans la clinique qu’il dirige depuis plus de 40 ans. J’y ai exercé avec d’autres disciples, à l’époque 3 docteurs praticiens et 2 apprentis. Tous japonais !
C’est un lieu d’apprentissage mais avant tout de traitement qui ne se limite d’ailleurs pas au Yin Shiatsu. On y pratique l'acupuncture, la pharmacopée Kampō (漢方), le Qi Gong ainsi que d’autres méthodes issues de l’occident, comme le Counseling (entretiens psychologiques) ou la prise de compléments alimentaires.
ADN : Quand vous dites 3 docteurs praticiens, vous parlez de vrais médecins ? Car le terme "docteur" peut facilement être employé dans le jargon japonais même pour un shiatsushi qui n’est évidemment pas un docteur au sens médical du terme !
MA : Oui effectivement en japonais on utilise le mot de Sensei qui a une signification très large et qui est couramment utilisé. C’est principalement un titre honorifique pour les docteurs, professeurs, maîtres artisans... En fait, toute personne considérée et honorée comme détentrice d’un savoir.
Après les Sensei dont je parle sont tous diplômés d’une école de Médecine Chinoise et d’acupuncture. Un cursus de 3 ans je crois.
Ils ont commencé à travailler en parallèle en tant qu'apprentis à la clinique jusqu’à obtenir l’aval de Takeuchi sensei. Ce statut leur accorde le droit de suivre leur propre patient et de pratiquer l’acupuncture.
ADN : Et à propos de votre expérience proprement dite dans cette clinique, pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Vos horaires, vos habitudes, votre rôle/place au sein de l’équipe … l’organisation en général ?
MA : J’ai vécu ces 2 ans et demi en immersion totale. Shiatsu, shiatsu et shiatsu… c’était tout ce qui importait [rires].
Je dormais d’ailleurs à la clinique ! En Uchi-Deshi (内弟子 - disciple vivant dans le dojo) en quelque sorte. C’était très formateur, pas facile mais ça m’a permis de repousser certaines de mes limites.
Je mangeais sur place avec les autres membres de l’équipe. Une bonne alimentation, dans les règles de la diététique chinoise. Nous recevions chaque semaine un panier bio en provenance des montagnes de Yamanashi à l’Est de Tokyo. C’était toujours le Kōhai (後輩), le dernier arrivé à la clinique, qui était chargé de cuisiner.
Je dormais sur un des lits de traitement... Il n’y avait pas de douche et il me fallait aller au Sentō. Le bain public japonais que l’on retrouve dans chaque quartier. Un moment de détente bienvenue, à un prix abordable et ouvert jusqu’à 1h du matin en ce qui concerne Tokyo.
Les japonais ont cette culture du bain qui me manque ici.
Quant à la journée de travail, elle commence à 8h30 et se termine vers 21h avec une petite pause d’1/2 h pour le déjeuner quand on a le temps. Soit 12h par jour, du lundi au samedi ! Je vous laisse compter par semaine…
Le dimanche n’est bien sûr par un jour de repos mais il est dédié à l'entraînement entre les praticiens, à des cours de Qi Gong ou à des stages de formation.
A y réfléchir je ne sais pas comment j’ai survécu [rires].
Les premiers mois consistaient surtout à travailler dans l’arrière-boutique. Plier les serviettes, préparer les lits, laver le linge et encore plier les serviettes… Il y avait heureusement toujours un temps d’apprentissage avec le directeur.
Puis je suis petit à petit intervenu auprès des patients à mesure de ma maîtrise des techniques… tout en continuant à plier des serviettes [rires] ! Je m’occupais de la partie shiatsu du traitement à la place des Sensei. J’étais aussi chargé de l'accueil et de la communication auprès des étrangers, patients et étudiants de passage.
L’apprentissage est toujours long au Japon, il faut savoir être patient et persévérant. C’est ce qui est regardé dans un premier temps.
En tant qu’étranger destiné à ne rester que quelques années, j’ai eu l’avantage de suivre une formation accélérée. Pour les apprentis japonais il faut parfois attendre un an avant même d’aborder la première technique !
ADN : Pour vous, qu’est-ce que le Yin Shiatsu ?
MA : Par "Yin", on entend "Profondeur" C’est donc un shiatsu qui met l'accent sur des pressions profondes visant en particulier les attaches musculaires, les tendons et les muscles internes.
L’idée première étant que les tensions, les déséquilibres chroniques vont avoir tendance à se placer et à s’exprimer sur ces tissus. Sur ce principe, c’est en allant chercher à la source que le traitement pourra être efficace et les résultats pérennes. Il y a une mise en mouvement de l’énergie depuis la profondeur qui enclenche le processus de guérison.
En travaillant en profondeur c’est donc un shiatsu qui peut être douloureux... Oui, la douleur n’est pas rejetée en soi dans cette méthode, elle est une information, une prise de conscience pour le patient et également un stimulus qui fait partie du processus de guérison. La douleur fait partie de la vie et il n’y a aucune raison de la rejeter comme on a trop tendance à le faire. Elle doit bien-sûr être accompagnée d’un dialogue entre le praticien et le patient.
Alors bien sûr cette douleur n’est pas gratuite, elle n’est pas recherchée en soi, mais est présente lorsqu’on travaille sur les tensions profondes. C’est d’ailleurs souvent une douleur, “qui fait mal mais qui fait du bien” comme peuvent la décrire les patients. On la distingue d’une douleur aiguë pour laquelle on aura une autre approche, les points et zones réflexes dont je parlerai plus tard.
Je tiens à signaler que même si les pressions Yin constituent le cœur du traitement, le Yang est également présent et l’accompagne naturellement. C’est le Tao ! Le Yang va permettre de prendre contact, de préparer et de conclure une pression Yin, de disperser l’énergie mise en mouvement...
Le Yin Shiatsu, c’est également un système et des techniques établis dans le temps par le directeur dans le cadre de la clinique. Il a pour caractéristique notable, le principe du Sōkan (相関 - Corrélation), permettant de traiter indirectement les zones à problème par des interrelations entre les différentes parties du corps et entre les méridiens. Particulièrement utile pour des douleurs aiguës, pour lesquelles on ne va pas travailler frontalement sur la zone de douleur mais plutôt sur des zones réflexes correspondantes.
Autre aspect, l’utilisation du Sokanshin, outil en bois permettant d’effectuer des pressions précises et en profondeur.
Pour conclure, c’est avant tout une approche pragmatique. Au sens où on répond à la demande première du patient (aspect symptomatique) tout en agissant sur le fond du problème par un travail sur les méridiens et points d’acupunctures. Incho me répétait souvent qu’il est primordial que le patient sente la différence entre avant et après la séance.
ADN : Qu’est-ce qui vous a marqué dans la personnalité de Takeuchi Nobuyuki ?
MA : Oh c’est un personnage assez difficile à cerner et donc à décrire. Avec beaucoup de contradictions et je dirais que c’est avant tout un ovni dans son milieu.
De par son image, c’est l’exemple même du maître japonais d'antan. Avec sa longue barbe grise, portant un habit traditionnel et des Geta (下駄 - sandales traditionnelles en bois). C’est maintenant une singularité dans le japon actuel et d’autant plus à Tokyo.
Il a été adepte de Misogi (禊 - purification par l’eau), pratique la calligraphie Qi Qong et les arts martiaux…
Mais c’est aussi quelqu’un qui a été très novateur dans son approche du soin, avec pour seul objectif l’efficacité thérapeutique. Il n’a pas hésité à remettre en cause les techniques existantes, à échanger avec des médecins occidentaux et des praticiens chinois, à explorer d’autres pistes de traitement… Ce qui lui a apporté la reconnaissance de ses pairs alors qu’il n’est pas du milieu.
C’est également une force de la nature, qui s’adonne intensément aux sports, aux arts martiaux et à une quantité d’autres choses tout en travaillant à plein temps à la clinique et en s’occupant d’une famille nombreuse. J’ai ce souvenir de le voir effectuer ses 100 pompes à la minute à 65 ans…
Il a donc la volonté d'exceller et de repousser ses limites, ce qu’il exige également de ses disciples. Ce qui n’est pas facile ! Il est parfois dur et autoritaire…
ADN : C’est vrai qu’il a l’air d’un homme robuste, plein de vitalité ! Auriez-vous d’autres anecdotes à propos de votre Inchō et de votre relation ?
MA : Même s’il s’est adapté à mon statut d’étranger, il ne m’a cependant pas ménagé en ce qui concerne la pratique et je lui en suis reconnaissant. Il y a chez lui une réelle volonté d’enseigner et de transmettre ses connaissances. C’est dû à sa personnalité mais aussi sans doute à son âge. Le temps de la transmission.
Chaque jour, pendant ces 2 ans et demi, nous avions a minima une bonne heure de pratique. Je vous laisse imaginer l’état de mes pouces avec sa musculature…
Inchō m’appelait aussi régulièrement auprès des patients pour l’assister ou me démontrer l’efficacité de ses techniques.
En dehors de la clinique, j’ai aussi appris le Golf avec lui, participé à un Matsuri (festival traditionnel), assisté à une cérémonie du thé, à un tournoi de sumo et j’en passe. Tout n’était pas que souffrance et labeur [rires] ! Il s’est aussi montré très généreux à mon départ.
ADN : Dans le cadre de mes recherches sur le shiatsu, j’avais étudié le parcours de Takeuchi Sensei il y a quelques années. Je suis fasciné par les maîtres en médecine orientale qui communiquent librement sans complexe sur leur talent de guérisseur. En France, sa clinique serait sans doute considérée comme une secte [rires]... On voit ici une vraie différence majeure entre les organisations des systèmes médicaux au Japon et en France.
MA : Oui à vrai dire je me suis régulièrement posé cette même question : "Suis-je tombé dans une secte ?".
Peut-être de rares moments de lucidité [rires] ?
La clinique a une structure très hiérarchique qui se retrouve dans les rapports humains. Le maître est en haut de la pyramide et prend toutes les décisions, parfois même sur la vie personnelle de ses disciples. Il est responsable de leur formation et eux se doivent d’être respectueux et prévenants en retour.
Vu de France c’est étrange, vu du Japon c’est plus nuancé. On retrouve ce même type de relation dans les entreprises ou les hôpitaux. Il a du pour et du contre et tout dépend de la personnalité du dominant. A savoir aussi qu’au Japon ces apparences ne sont souvent qu’une réalité de façade et la situation est plus complexe.
Quant à l’aspect thérapeutique qui est mis en avant, c’est une spécificité de la France que de réglementer aussi strictement sur le sujet. Cela amène certainement à des dérives dans les autres pays mais à une moins grande sclérose du système de soin à mon humble avis.
ADN : Vous pratiquez le Yin Shiatsu dans votre cabinet au quotidien. Est-ce que vous utilisez d’autres techniques complémentaires au shiatsu comme les moxas, etc. ?
MA : Depuis mon retour du Japon, je me suis principalement concentré sur le Yin Shiatsu mais j’intègre progressivement d’autres techniques. Des étirements, du Ampuku, du travail respiratoire sur lesquels l’accent n’est pas mis à la clinique.
Je compte continuer à me former au grès des rencontres. J’aimerai m’intéresser au Tuina maintenant.
Quant aux outils, ils font partie de la Médecine Chinoise et je les utilise à l’occasion.
ADN : En termes d'expérience, que vous a apporté ce séjour au Pays du Soleil Levant dans votre pratique professionnelle en France ?
MA : Mon séjour à la clinique m’a avant tout apporté un panel de techniques et une expérience que je n’aurais pas pu accumuler en seulement 3 années en France. Le Yin Shiatsu est une méthode peu répandue en France et j’ai maintenant la capacité de l’enseigner et de la partager auprès des autres praticiens.
Je garde également les principes inculqués aux thérapeutes de la clinique. Parmi lesquelles : savoir mettre son Ego de côté au cours du traitement, toujours mettre de l'intention dans ses gestes et sa parole, avoir une rigueur professionnelle et une exigence de résultats…
Enfin, du fait de la culture japonaise, j’ai d’autant plus développé mon ressenti et un rapport subtil à la communication non verbale.
J’anticipe peut-être une de vos questions mais si l'on me demande quelle est la différence avec les patients japonais, c’est justement sur la communication qu’elle se porte. D’une manière générale en France, nous sommes beaucoup plus dans le verbe et cela a de l’importance dans le traitement.
ADN : Oui les cultures sont très différentes. Effectivement le temps de massage est primordial dans le shiatsu au Japon (on ne parle pas ou peu) alors que le relationnel à travers les échanges et les temps de discussion sont incontournables en France. Problème d’incarnation peut-être ? ou les occidentaux sont simplement bavards [rires]
MA : Qui sait ? [rires]
Mais la communication en soi n’est pas rejetée, c’est plus sur l’expression du ressenti du patient que je vois une différence. J’avais parfois l’impression de jouer au poker avec eux !
Bien sûr ce sont des généralités. Tout dépend de la personnalité de l’individu et les japonais ne se résument pas justement au fait d’être japonais. J’ai le souvenir d’un ancien capitaine de bateau très bavard…
ADN : Merci beaucoup Mehdi pour cet entretien.
MA : Merci à vous. Au plaisir de vous rencontrer en face à face quand le confinement sera terminé.
Nobuyuki Takeuchi Sensei
Equipe Akahigedo
Sokanshin
Stage formation à destination de coachs sportifs
Stage formation à destination de coachs sportifs
Entraînement avec Incho
Matsuri
Photo de stage Shiatsu sur Table (2020) à l'Ecole Shen Dao (Toulouse)
Pour contacter Mehdi Abid | Yin Shiatsu à Strasbourg
En savoir plus sur le Yin Shiatsu de TAKEUCHI Nokuyuki
© Tous droits réservés Shiatsu-France.com
D'autres articles sur la même thématique
- Entretien avec Hitoshi TANIKAWA : où faire une formation en massage japonais par pressions du pied ?
- Entretien avec Hiroshi IWAOKA : échange avec le professeur de shiatsu myo-énergétique
- Entretien avec Masanori OKAMOTO : qu'est-ce que le shiatsu kurétaké ?
Partager cet article de shiatsu sur : Twitter Facebook Instagram Linkedin Par email