ICHIKAWA Toshi, un cœur à la fois japonais et français
Auteur : Publié le 21/11/2020 à 20h20 -En cette fin d'automne, à découvrir notre entrevue réalisée avec le plus français des praticiens japonais de shiatsu : Toshi Ichikawa. Exerçant dans la capitale française, il est un acteur professionnel incontournable dans le paysage hexagonal du shiatsu. Après plusieurs périples aux Etats-Unis, en Italie, et des voyages entre Tokyo et Paris, Toshi Ichikawa nous livre dans cet entretien un aperçu de son histoire et de ses multiples expériences.
Entretien avec Toshi Ichikawa
Antoine Di Novi : Toshi Ichikawa bonjour, hajimemashite (enchanté)
Toshi Ichikawa : Bonjour,
ADN : Merci à vous de nous accorder une entrevue pour Shiatsu-France.com
Pour débuter, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? Où êtes-vous né ? Depuis quand vivez-vous en France ?
TI : Je suis né au Japon à Tokyo et j'ai vécu à Nakano un quartier à l’ouest du centre de Tokyo. Ma famille, mes parents vivent toujours au Japon, dans la banlieue de Tokyo.
Je suis arrivé en France à Paris en 1998 à l'âge de 38 ans. D’abord, je n'ai pas commencé par la pratique du shiatsu, tout du moins de manière professionnelle. J'ai effectué des études en sciences économiques, un milieu dans lequel je pensais évoluer professionnellement. En parallèle, j'ai participé dans le monde du théâtre, du cinéma et tout particulièrement de la photo.
En réalité, je pensais gagner ma vie, ce que j'ai fait un certain temps, en réalisant des photos pour le compte de magazines japonais. D'ailleurs, c'est grâce à ce travail que j'ai pu sortir du Japon et ainsi voyager. Mes photos portaient sur les voyages à l'étranger.
ADN : Vous avez donc découvert le shiatsu après votre métier de photographe ? Est-ce que vous avez étudié avec des maîtres japonais ?
TI : En fait, j'ai découvert le shiatsu très jeune vers l’âge de 5-6 ans. Mon père qui était motard (policier) avait des « gros » problèmes de dos, des douleurs permanentes au dos à cause de la position sur la moto. Et lorsqu'il rentrait à la maison, nous (ma mère et moi) le massions. Moi étant petit, je massais avec les pieds puis plus tard plus grand, j’ai commencé à masser avec les mains. Ma mère faisait quant à elle des moxas. J'ai senti très tôt l'envie de faire des massages shiatsu, j'adorai donner des shiatsu. D'abord autour de moi, dans mon entourage avec ma sœur notamment puis au lycée dans le club de sport et j’ai continué à donner des shiatsu autour de moi tout au long de ma vie.
ADN : D’accord... L’envie de faire du shiatsu est donc très lointaine ?
TI : Le shiatsu a été ma passion, mon « dada » [rires]. Quelques fois je gagnais des « sous », et je me donnais à 100%. Tout le monde appréciait, les gens étaient détendus. Parfois, les douleurs disparaissent ; à partir de ce moment, j’ai commencé à me dire : pourquoi ne pas continuer !
ADN : Très bien... Et avant de venir en France, avez-vous rencontré des professeurs au Japon ?
TI : Je n'ai pas commencé tout de suite les études de shiatsu au Japon. J’ai fait longtemps le métier de photographe en réalité. Ce n’est qu'après mon séjour aux Etats-Unis, pays dans lequel j’ai vécu un certain temps et où j’ai rencontré mon ex-femme de nationalité française. Nous sommes rentrés ensemble par la suite vivre au Japon. J’avais environ 29-30 ans quand j’ai commencé à suivre l’enseignement de 3 professeurs en shiatsu. D’abord au Japon, près de chez moi, il y avait un maître japonais, Susumu Kimura, qui a reçu l'enseignement direct de Shizuto Mazunaga, le célèbre maître fondateur du Zen Shiatsu. J’ai suivi des cours privés avec lui.
ADN : Susumu Kimura ? Effectivement c’est un maître très célèbre qui a fait partie d’un groupe restreint de disciples de Shizuto Masunaga comme Nobuyuki Fujisaki je crois...
TI : Ensuite j’ai suivi des cours de shiatsu en France. D’abord pendant 2 ans avec Danielle Chevillon, directrice de l’association Ayame et membre de la FFST. Puis avec Yasutaka Hanamura, professeur japonais vivant à Paris (décédé en 2018), qui a traduit deux livres parmi les quatre de Shizuto Masunaga déjà édités en langue française. « Shiatsu et médecine orientale » et « Les 100 récits du traitement ».
ADN : Très bien… Et concernant votre école de Do-In et de Shiatsu, elle est bien située dans le 14ème arrondissement à Paris ?
TI : Oui, l’adresse de mon cabinet est dans le 14ème arrondissement. C’est la où j’enseigne pour le niveau 1. Puis nous louons aussi des dojos d’aïkido à Paris pour assure les cours de niveaux supérieurs.
ADN : Ah oui ! Et quand vous dites « on », « nous », est-ce que vous continuez à donner des cours personnellement ?
TI : Oui, bien sûr, je donne des cours à environ 70 pourcent. Et j’ai une équipe d’enseignants dans plusieurs courants, Laurance Lardeut, formée à l’école de maître Ohashi, Gabriella Gusso, formée à l’école Iokai, etc. Gabriella est l’une des spécialistes du shiatsu des enfants autistes.
ADN : Très intéressant tout ceci. Et votre shiatsu alors ? Est-ce que vous avez personnalisé votre courant shiatsu ou vous enseignez le Zen Shiatsu dans la lignée traditionnelle ?
TI : Au début j’ai enseigné le Zen Shiatsu car mes trois professeurs ont été des disciples de Shizuto Masunaga. Mon style est une véritable recherche. J’essaie de faire un pont entre le Japon et Paris. Je me suis rendu compte que mon shiatsu n’est pas comme le shiatsu qui est exercé au Japon. C’est plutôt le shiatsu Namikoshi qui est exercé majoritairement. C’est un style assez fort.
ADN : Oui, oui… [rires]
TI : Le shiatsu que j’ai appris n’est pas du tout « fort », le shiatsu de Yasutaka HANAMURA Sensei était très léger. Même Danielle Chevillon a un shiatsu très féminin, occidental, doux. Kimura Sensei parlait facilement de spiritualité par exemple. Ce n’est pas du tout dans l’image qu’on a du shiatsu au Japon.
ADN : Oui je comprends très bien. C’est un vrai parallèle avec les difficultés que l’on a, à mon sens, pour développer de manière sérieuse le shiatsu en France.
TI : J’ai commencé à m’intéresser aux origines. Notamment à ce que Shizuto Masunaga a écrit. J’aime bien le côté doux du shiatsu, c’est vrai que je n’ai jamais été attiré par les méthodes japonaises dures physiquement, « violentes » pour moi, comme le Judo ou le Karaté. Je préférais quand j’étais jeune, le Chi Kung, le Yoga, les thérapies de respiration, de toucher notamment dans le domaine du théâtre où il y avait beaucoup de recherches sur le corps à l’époque.
ADN : C’est l’une des raisons pour lesquelles vous enseignez le Do In dans votre école ?
TI : Oui, le Do In a beaucoup de possibilités car c’est plus simple à appliquer que le yoga par exemple. Le Do In entre facilement dans le style de vie occidental, Facile et plus concret. Pour moi, le Do In n’est pas simplement de l’automassage. C’est surtout étirements, respiration, redressement de la colonne vertébrale, position du bassin e.t.c. Ca lié à l’hygiène de vie japonaise que j’essaie de partager par passion à travers des stages. J’ai plusieurs sujets autour du mode de vie bien-être à la japonaise.
ADN : J’ai vu aussi que vous avez été récemment en Italie ?
TI : Oui !
ADN : C’était impressionnant ? Il y avait beaucoup de monde ?
TI : Oui, je vais en Italie à partir d’une thématique de stage, ici : le livre Ampuku Zukai écrit à l’époque Edo. C’est le guide illustré de Ampuku avec les 13 techniques de massage sur le ventre. C’est un livre très connu au Japon dans les thérapies manuelles. J’ai donc fait ce stage à Bologne organisé par l’APOS (Association Professionnelle des Opérateurs Shiatsu).
ADN : Effectivement, les professionnels shiatsu s’appellent les opérateurs en Italie (operatori)
TI : Oui, c’est une très grande association. Je pense qu’il y a 3 fois plus de professionnels shiatsu en Italie qu’en France !
ADN : Oui je crois aussi. En Italie le shiatsu est nettement plus développé qu’en France et aussi mieux harmonisé.
TI : Dans ma recherche personnelle, je suis en quête de savoir quelle est ma pratique. J’exerce en France depuis plus de 20 ans. Mais la question que je me pose est : d’où vient ma pratique ? C’est vrai que mes recherches se sont dirigées naturellement vers ce livre Ampuku Zukai qui a d’ailleurs largement influencé le shiatsu de Shizuto Masunaga. Donc à travers ce stage en Italie, j’essaie de reproduire les techniques écrites dans ce livre majeur qui est sans doute à l’origine du shiatsu. Il y avait environ 300 praticiens à ce stage. J’étais très étonné par cette grande activité.
ADN : J’ai vu par ailleurs à travers des vidéos que vous faites du Shakuhachi (Flûte traditionnelle japonaise). J’imagine que c’est une passion ? Je me suis demandé si l’objectif de jouer du Shakuhachi devant des publics professionnels était de présenter cette flûte singulière, instrument incontournable de la culture japonaise ou plutôt de montrer que la pratique d’un instrument de musique pouvait améliorer sa pratique du shiatsu.
TI : Oui c’est exactement pour ces deux raisons. Ma recherche de shiatsu est aussi à la fois physique et énergétique et artistique. J’ai commencé à apprendre le Shakuhachi en France avec un maître japonais à Paris dans l’idée de recherche par rapport à mes origines de aime notamment la sonorité de cette flûte japonaise qui représente vraiment mes racines. J’ai lu beaucoup de livres sur des méthodes de santé comme sur le Do In où l’on parle souvent du Hara, du Tanden ; ce sont des notions que je connaissais depuis longtemps grâce à la pratique du Chi Kung et du Tai Chi. Mais j’ai senti que la pratique de la musique et notamment le Shakuhachi améliorait grandement la respiration, la circulation des énergies dans le Hara, le Tanden.
ADN : C’est un peu comme avec le théâtre ou le chant ?
TI : Oui avec le chant, les gens font un bon travail de respiration avec le ventre.
ADN : La fameuse respiration par le ventre…
TI : Le Shakuhachi, ce n’est que de la respiration avec le ventre. Pour moi le shiatsu est une recherche par le souffle et par le toucher. Le corps doit être maîtrisé à travers la conscience de la gravité, le Tanden, cela fait partie des anciennes écritures. Je développe ce concept du Tanden dans le pratique de shiatsu.
Je continue à animer des stages nommés HARA to KOSHI (le ventre et les hanches). Les stages sont focalisés sur la notion du ventre et les hanches à la japonaise. J’insiste aussi sur les notions de redressement du dos, du bassin. Par exemple, au Japon dans les écoles élémentaires, il y a des exercices pour redresser le bassin, étirer la colonne vertébrale et donc apprendre à se tenir droit.
ADN : Dans les écoles primaires japonaises, on fait beaucoup de Taiso (gymnastique), en particulier le Radio Taiso (gymnastique codifiée avec musiques), pour que tout le monde réalise les mouvements ensemble.
TI : Oui le Radio Taiso, j’aime bien ça.
ADN : J’ai essayé de développer le Radio Taiso dans ma région mais les français n’accrochent pas [rires]. Ils trouvent cela trop militaire, trop rigide.
TI : [rires]
ADN : Mais avec le Taiso plus globalement, il y a plein de possibilités. Cela fonctionne. Mais le Radio Taiso, non, en tout cas moi je n’ai pas réussi à convaincre [grands rires].
TI : [rires] Il faut rajouter quelque chose je pense.
ADN : Après, le Radio Taiso est très intéressant avec des personnes à mobilité réduite car il y a des exercices adaptés. Pour en revenir à vos stages HARA to KOSHI, pouvez-vous nous en dire plus ?
TI : J’ai effectué un stage cet été et je prépare un week-end de stage en Toscane en février 2020.
ADN : Très bien. Alors comment se déroulent les stages en Italie ? Est-ce que vous voyez des différences dans la pratique du shiatsu en France et en Italie, dans l’organisation même du shiatsu en France et en Italie ?
TI : Je pense qu’en Italie le shiatsu est plus avancé qu’en France. Déjà, il y a au moins trois fois plus de praticiens qu’en France. Au niveau de la connaissance également, il y a plusieurs grandes organisations, il y a des librairies spécialisées, magazine autour du shiatsu, e.t.c. En fait ce n’est pas facile de comparer, mais je pense que la France est un des pays plus « en retard » au niveau Européen.
ADN : La France est un des pays le plus « en retard » au niveau Européen ?!
TI : Oui je pense.
ADN : A votre avis, il y a des raisons à cela ?
TI : C’est vrai qu’on dit souvent que l’une des raisons est le système médical français à cause de sa forme et législation. Mais il y aussi la population française qui écoute tout ce que dit le médecin. Et beaucoup de médecins n’aime pas, n’accepte pas, ne mélange pas les méthodes. Il y a alors une sorte de fermeture. Une fermeture d’esprit par rapport à notre pratique sans doute. Après on (les praticiens) essaie d’avancer.
ADN : Oui c’est ce que l’on essaie de faire [rires].
TI : Je pense d’ailleurs que ce que fait Shiatsu-France.com est bien. En quelque sorte centraliser et communiquer sur le shiatsu.
ADN : Merci ! C’est vrai. J’ai moi-même suivi des cours dans plusieurs écoles et par expérience il y a peu ou pas d’échanges entre les organisations.
TI : C’est exactement ce que je pense.
ADN : Oui, c’est l’une des raisons qui m’a stimulé à fonder le média et réseau Shiatsu France. Il y a bien entendu des grandes organisations comme la FFST et le SPS mais il y a aussi plein d’acteurs très actifs et des plus petites écoles. C’est vrai que le public français a besoin de pédagogie, de beaucoup de pédagogie. Un témoignage comme le vôtre à travers des expériences uniques en tant qu’homme de culture japonaise, professionnel en shiatsu, connaisseur des spécificités culturelles occidentales, françaises, italiennes, américaines… est très important.
TI : Je sens que le public français est actuellement en demande.
ADN : Petit à petit, les choses avancent… Par ailleurs, que pensez-vous de tous les articles publiés notant que le shiatsu est une méthode millénaire issues de la médecine chinoise consistant à faire des pressions sur des méridiens ?
TI : Déjà, le mot shiatsu ce n’est pas ancien. Vers 1920. Avant cela existait sous différents noms comme thérapie populaire au Japon. Origine de shiatsu vient de la mais aussi, le shiatsu a été créé en mélangeant des massages venant d’Europe, de la chiropraxie, de l’ostéopathie américaine et bien sûr de la médecine chinoise. Quand on dit shiatsu, on sous-entend différents courants. Il y a plusieurs styles. Je ne comprends pas pourquoi on arrive à dire le shiatsu est comme cela, un seul style. Si une école dit cela, alors c’est dommage. Le shiatsu est plus riche que cela. Le vrai shiatsu c’est difficile à dire. Pour moi, c’est quelque chose qui marche bien.
ADN : En France, dire "qui marche bien" cela ne suffit pas. L'approche par le ressenti ou par l'intuition ou simplement basée sur une observation ne « plaît » pas vraiment. On veut une médecine scientifique, rationnelle dans laquelle l'observation n'est pas prise en compte et encore moins la vision empirique. Ce n’est pas parce qu’on observe que cela marche que c’est scientifique. Il faut donc mettre en place des protocoles rigoureux. C’est vrai qu’il existe divers courants shiatsu mais au Japon peu de styles shiatsu (citons Namikoshi et Kuretake) sont reconnus comme médecine conventionnelle et comme thérapie manuelle approuvée scientifiquement. Si on parle du Keiraku Shiatsu comme le Zen Shiatsu par exemple ce n’est pas reconnu en tout cas intégré au système médical japonais avec sa Sécurité Sociale. Cela ne veut pas dire que cela ne marche pas mais que leur application thérapeutique n’est pas prouvée scientifiquement. Comme en France où il y a eu pendant des décennies des débats autour de l’acupuncture (position plutôt stable aujourd’hui) ou autour de l’ostéopathie (qui est parfois remise en cause). Regardez dernièrement l’homéopathie. Aujourd’hui la conclusion est qu’elle ne fonctionne pas sur un plan scientifique. C'est à mon sens l'un des « problèmes » ; sans doute le principal frein du développement du shiatsu en France.
TI : Surtout en France, oui…
ADN : Certainement, surtout en France. C’est un sujet majeur. Comment faire en sorte que le shiatsu soit réellement reconnu autrement que par une vraie reconnaissance scientifique ? Il y a des gens qui œuvrent pour le shiatsu depuis les années 1960 et les choses ont très peu évolué en près de 60 ans.
TI : Oui c’est bizarre…
ADN : C’est bizarre Oui [rires]… Je pense qu’on n’a justement pas réussi à définir ce qu’est le shiatsu d’une manière cadrée et claire avec une approche scientifique. Alors c’est vrai il y a eu récemment différentes reconnaissances au niveau du métier avec plusieurs titres RNCP. Vous avez d’ailleurs l’un de ces titres, celui de Spécialiste Shiatsu ?
TI : Oui.
ADN : C’est une reconnaissance auprès du Registre National des Certifications Professionnelles. C'est très bien. Cela fait avancer les choses mais nous sommes encore très loin d'une reconnaissance scientifique ou médicale.
Toshi Ichikawa, je vous remercie vivement pour cette entrevue très riche. Arigato gozaimashita (merci beaucoup)
TI : kochira koso, domo (merci)
ADN : dewa mata (à très bientôt)
TI : kochira koso, arigato (merci)
Pour en savoir plus sur Toshi Ichikawa (Formation, stage, cours, etc.)
https://toshiatsu.com/
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Retrouvez l'interview dans le numéro 01 Shiatsu France Magazine
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