Georges Charles, un Maître du Qi Gong incontournable
Auteur : Publié le 01/12/2019 à 07h48 -Rares sont les Maîtres Occidentaux ayant pratiqué à la fois les arts martiaux japonais et chinois. Parmi eux, Georges Charles est sans aucun doute la grande personnalité française imprégnée de ces deux cultures. Co-fondateur des Arts Classiques du Tao regroupant une soixantaine d’associations et une centaine d’enseignants certifiés, Georges Charles partage dans une interview son parcours unique et vraiment exceptionnel. Son histoire avec les arts martiaux commence en 1958...
Comment améliorer sa pratique du shiatsu ?
Entretien avec Georges Charles
Antoine Di Novi : Georges Charles bonjour,
Georges Charles : Bonjour oui,
ADN : Je suis très heureux de pouvoir m’entretenir avec vous. Donc un grand merci d’accorder cette interview à Shiatsu-France.com
Est-ce que vous pourriez nous parler de votre parcours ? Et tout particulièrement vos liens et expériences avec les cultures japonaise et chinoise ?
GC : Et bien j’ai débuté le judo en 1958 avec un professeur qui s’appelait Riva alors 4ème Dan. Mon père m’a inscrit à l’âge de 8 ans dans ce club de judo très connu où il y avait d’autres champions. A l’époque il n’y avait pas de catégories de poids dans le judo. Et quand tout le monde se retrouvait sur le tatami, ce n’était pas toujours évident pour moi. A 8 ans, on n’est pas très « développé » et je me rappelle que je servais souvent de « lancer de nain ».
ADN : Ah !
GC : Mon père a donc accepté mon souhait de ne pas continuer. Et il m’a inscrit chez Henry Plée en 1960 ; il avait déjà son cours de Karaté Do à Paris. Il était le pionnier du Karaté en Europe, même en Occident sans doute. On en rigolait un peu avec le « Kara- Plée » en prétendant que c’était l’une de ses inventions. Car à la même époque il était publiciste ; c’est vrai que c’était facile d’imaginer Henry Plée inventer le Karaté [rires].
ADN : [rires].
GC : Et je me suis retrouvé dans les années 60 avec ce personnage déjà impressionnant. A cette période il y avait Jean-Daniel Cauhépé très connu dans le milieu de l’Aikido et qui pratiquait aussi le Karaté. Il avait occupé une place d’officier parachutiste pendant la guerre d’Algérie. Puis Henry Plée m’a présenté à Jean-Daniel Cauhépé en lui demandant de m’apprendre à saluer avant d’entrer sur le tatami, à faire correctement un nœud de ceinture, etc. ce que je ne savais pas faire... Il est alors devenu mon Sampaï (Elève le plus ancien). Nous sommes restés amis jusqu’à la fin de sa vie. C’était un personnage hors norme. Je me rappelle de la première chose qu’il a dite dans les vestiaires « je vous présente Georges, le premier qui l’emm… je lui pète la gu…. » [rires] et donc cela a été très tranquille pour moi ; j’ai évité les bizutages…
ADN : [rires].
GC : J’ai continué ainsi en voyant passer les maîtres « japonais » puisque Henry Plée les faisait venir à ses propres frais à l’époque. Ils venaient du Japon enseigner un moment puis créer leur propre club par la suite. Il y a eu entres autres Kase Sensei, Nanbu Sensei, Mochizuki Sensei, Harada Sensei… J’ai suivi très jeune lors de cours ou de stage des japonais très haut gradés. Cette formation exceptionnelle a duré jusqu’en 1968 environ. Puis j’ai commencé l’Aikido avec Dominique Balta qui avait lui aussi un très bon niveau. Et en parallèle de cela, comme j’étais un « acharné », j’ai commencé le Taekwondo avec Maître Lee Kwan Young (8ème Dan) dès son arrivée en France. Nous étions alors 4 élèves ! A l’époque, il ne parlait pas de Taekwondo ; il appelait cela le « super karaté volant » ! Le terme Taekwondo n’existait pas vraiment. Cela m’a beaucoup plu. Il était un peu particulier ce fameux Maître Lee ; il exerce d’ailleurs toujours en France.
ADN : Très bien.
GC : J’ai donc eu la chance de m’entraîner avec des pionniers qui avaient à chaque fois une ou deux générations de plus que moi. Et de suivre tant bien que mal leur cours. Ils ne pariaient pas grand-chose sur moi c’est sûr. Mais bon j’ai continué. Ensuite dans mes études en école de commerce je devais effectuer un stage à l’étranger. Et je suis allé ainsi travailler aux Etats-Unis pendant 1 an. J’ai eu la chance de trouver un poste de coach assistant. En fait, j’avais trouvé une « combine » pour pouvoir continuer à m’entraîner sur le campus de l’Université de Philadelphie. En 1969, j’obtenais ma première fiche de paie en tant qu’assistant d’un cours dirigé par le Maître Coréen Shin Yun Hun (9ème Dan). Et c’est là-bas que j’ai découvert les arts martiaux chinois.
ADN : Ah intéressant ! Comment ?
GC : Une anecdote amusante est qu’au Taekwondo seuls des hommes gros « balèzes » pratiquaient ; et à 20 ans on a envie de voir des nanas [rires]. Donc j’ai ouvert en parallèle un cours d’Aïkido. Et cela a attiré des étudiantes…
ADN : Ah oui [rires].
GC : Un jour, des chinois sont venus me voir et m’ont demandé quel art martial j’enseignais ? Je leur ai aussitôt répondu que ce n’était pas chinois mais japonais. Ma réponse les a fait tordre de rire. Car à cette époque il n’y avait pas d’Aïkido sur la côte Est des Etats-Unis. C’était inconnu. Ils m’ont alors demandé s’ils pouvaient pratiquer avec moi. Et je me suis très vite rendu compte (ce n’est pas une critique de l’Aïkido) qu’ils avaient des contre-prises redoutables. Malgré mon bon niveau de ceinture noire, je voyais que j’étais dépassé. Ils avaient vraiment des contre-prises logiques, simples, et sans forcer, des « trucs » pour échapper aux prises sans aucune difficulté.
ADN : Incroyable !
GC : J’avoue que j’étais très étonné. L’Aïkido me semblait pourtant riche dans la pratique. Alors j’ai laissé tomber le cours d’Aïkido et je suis parti m’entraîner chez un maître chinois. Mais de l’autre côté des Etats-Unis, à 30 km de San Francisco (j’ai oublié le nom de la ville). C’était un Centre Taoïste de Santé géré par une personne, une fois de plus, impressionnante qui se faisait appelée Shen Tian Zi (nom d’un dignitaire Taoïste). J’ai appris par la suite qu’il se nommait en réalité Ray Huang (Huang Renyu). Il avait été l’un des assistants de Joseph Needham, le célèbre sinologue de Cambridge. Ainsi je suis encore tombé sur un personnage incroyable qui avait été l’un des assistants les plus proches de Joseph Needham ! Lui, était très étonné que je connaisse également Joseph Needham ; je lui ai précisé que j’avais déjà lu la plupart de ses bouquins... Nous avons ainsi eu une excellente relation. Et c’est là que j’ai découvert le Qi Gong, le Dao Yin en fait. Les formes de gymnastique chinoise. Avant on les appelait gymnastique taoïste. Le terme Qi Gong n’existait pas, c’est étonnant non ?
ADN : Un scoop !
GC : J’en ai entendu parler longtemps après ; mais le terme Qi Gong n’existait pas en Chine.
ADN : Y compris en Chine ?!
GC : Heu oui, le terme est extrêmement récent. A la limite, c’est presque un terme pour l’exportation. C’est comme le mot Kung Fu. Ce sont des termes américanisés d’ailleurs. Mais qui sont vraiment destinés à l’exportation pour le « non-chinois ». Comme il y avait un vrai marché américain, les chinois ont adapté les termes avec certaines onomatopées. Et j’ai bossé un bon moment à côté de San Francisco. Puis je suis rentré en France car je devais faire mon service militaire. J’ai alors demandé à Ray Huang s’il connaissait quelqu’un à Paris pour pratiquer. Il m’a fait une lettre pour être reçu en France par un maître chinois qui s’appelait Tai Ming Wong ou Wong Tai Ming. Il s’appelait réellement Wong Ze Ming mais je l’ai su que bien plus tard. Il ne donnait pas son vrai nom parce qu’il était en fait un réfugié.
ADN : Arrivé dans la vague des réfugiés dès 1949 ?
GC : Oui voilà. Et il se faisait passer d’ailleurs pour un chinois vietnamien. Il s’était fondu dans la « masse » du quartier des vietnamiens. Et moi-même j’étais persuadé qu’il était vietnamien !
ADN : [rires].
GC : J’ai donc appris qu’il était chinois et qu’il souhaitait être tranquille. Auparavant, il travaillait dans l’import-export à Shanghai. A l’arrivée des « rouges » avec les rapports clairement différents, il est venu se réfugier en France. Sa particularité était d’appartenir à une grande famille chinoise. De plus, ses parents l’avaient inscrit chez les Jésuites Français à l’âge de 8 ans ; il y est resté jusqu’à 20 ans. Il parlait parfaitement français. Il connaissait le latin. Il avait donc étudié les racines des caractères chinois, des idéogrammes. Comme les Jésuites étaient très compétents dans ce domaine. Ils faisaient partie de ceux qui ont étudié les racines anciennes des idéogrammes notamment.
ADN : Oui des choses peu connues qui méritent de voir la lumière à mon avis.
GC : Et donc quel avantage pour moi de pratiquer avec un chinois et qui en plus parlait français !
ADN : C’est vraiment exceptionnel !
GC : Et qui connaissait les origines des caractères…
ADN : Il y a effectivement dans la langue chinoise plusieurs écritures ancienne, sigillaire, scribe, régulière, cursive…
GC : Oui, oui, justement ; lui, il s’attachait aux termes, ce qu’ils étaient et non comment ils sont devenus. Avec une sorte de richesse dans les caractères, les termes. Et puis il y a eu simplification comme toujours.
ADN : Comme toujours. Et on le voit aujourd’hui dans la langue chinoise mais aussi dans la langue française…
GC : C’est tellement simplifié. J’ai l’exemple de ce fameux méridien Maître du Cœur, qui en fait est un méridien encerclant le Cœur et qui permet la communication. Mais que l’on finit par appeler Maître Cœur ou pire MC, enveloppe sexualité ou enveloppe du péricarde. Cela n’a rien à voir avec le nom d’origine qui explique tout le système. En recherchant aussi le terme occidental plus adapté. Car il y a, en général, beaucoup d’erreurs dans les traductions.
ADN : Et oui effectivement d’où les confusions courantes de nos jours.
GC : Il y a quelques bons chercheurs sinologues français comme Catherine Despeux... La plupart des textes français vient des Etats-Unis. Ils sont traduits non pas du chinois vers le français mais d’abord en anglais puis en français. Il y a un donc double risque d’erreur.
ADN : Oui. C’est vrai que beaucoup de textes ont été traduits du chinois en anglais puis de l’anglais en français. Même au niveau du japonais, la majorité des livres a d’abord été traduite en anglais. Il ne faut pas oublier qu’une traduction est aussi une interprétation. Nous perdons forcément plus ou moins de sens par rapport aux textes originels.
GC : Oui c’est sûr. Pour moi c’était exceptionnel car la seule référence d’époque était le
Yi Jing de Richard Wilhem quand on s’intéressait à la Chine. C’était la seule traduction existante. En fait, c’était déjà « détourné » du sens originel. Les Jésuites avaient d’abord traduit le texte puis nombre de braves gens ont amené leur vision des choses en y ajoutant souvent des termes qui n’existent pas dans les textes chinois du Yi Jing. Heu. Tandis que Maître Wang l’avait étudié et pratiqué en chinois ; et il pouvait le traduire en français. Cela m’a énormément apporté. C’est d’ailleurs pour cela que l’on me faisait aussi passer pour « l’intellectuel du kung-fu ».
ADN : [rires]
GC : Tout simplement parce que j’ai eu la chance de trouver ce Maître Chinois et de le suivre pendant une dizaine d’années. Et donc j’ai pratiqué sous sa direction. Puis il a décidé de repartir en Chine ; en fait à Taiwan.
ADN : Ah.
GC : Hong-Kong, on savait très bien que cela allait retomber dans le giron de la Chine. On voit d’ailleurs très bien ce qu’il se passe aujourd’hui. Et il m’a alors transmis la direction de son école à ce moment-là. En 1979, tous les papiers étaient réalisés en Chine indiquant qu’il me transmettait la succession d’une école avec des branches généalogiques comme les chinois en sont friands. La principale branche c’est Xing Yi Quan, Li Laoneng avec une filiation extrêmement suivie, particulière. Alors le fait actuel c’est que cela été reconnu en 2014 en Chine. Et il y a donc une stèle au Mémorial du Xingyiquan de Shenzhou dans le Hebei ; une stèle franco-chinoise qui me désigne officiellement comme étant le successeur en 5ème génération d’une lignée provenant d’un Maître fondateur d’une branche importante. A priori, je dois être le seul occidental dans une position semblable. En général, ils délivrent des papiers d’enseignant, etc. mais des papiers de successeur d’école avec des titres « ronflants » c’est très rare. Ils gardent cela sous la main normalement. En Chine, il y a 2 bouquins, 1 avec que des chinois et 1 avec des occidentaux. Alors quand les occidentaux pensent qu’ils sont les successeurs des maîtres « pim, pam, poum » en fait, le bouquin chinois prime. C’est une sorte de strapontin. Tandis que là, j’admets qu’ils ont fait un véritable effort. Ils ont reconnu le fait avec un titre très « ronflant » que l’on traduit par Grand Maître !
ADN : C’est très intéressant. Vous êtes donc un Grand Maître ?
GC : [rires] Non, en fait ils m’ont décerné le grade de Zhengren Dào shi cela veut dire « Etre réalisé qui maîtrise la Voie » ce qui est énorme. C’est un titre colossal. Quand les chinois voient cela, ils se trouvent mal. En plus comme c’est gravé dans le marbre, alors là... C’est à ma connaissance le seul grade de ce type décerné à un occidental.
ADN : [grands rires]
GC : [rires] Cela change un peu. Bon là, c’est le côté extraordinaire qui n’arrive normalement pas. Et donc j’ai commencé à enseigner moi-même à partir de 1974. Je parle des pratiques chinoises car avant j’étais aux Etats-Unis. Toujours à la MJC d’Enghien quand j’ai obtenu première fiche de paie ! Et depuis ce temps-là je n’ai jamais cessé d’enseigner. J’ai continué à enseigner depuis 1974 et jusqu’à hier soir...
ADN : Impressionnant ! Quand je vous écoute, j’avoue être estomaqué. Votre parcours et votre assiduité sont exceptionnels, hors normes. Et à propos de votre école, quel est le lien entre votre site Tao-Yin, les activités présentées, et…
GC : Oui oui, en fait parallèlement à cela j’ai été cadre dans l’agroalimentaire ; j’ai choisi en 1977 de ne m’occuper que de l’enseignement des arts chinois. Mon patron m’a dit à l’époque qu’il fallait que je choisisse et que je ne pouvais plus courir deux lièvres à la fois. Donc j’ai choisi entre boulot et loisir. A quoi je lui ai répondu : « voici ma démission ». Mais cela n’a pas été très simple car passer du statut de cadre dynamique d’une entreprise, certes une PME mais bien florissante à celle de prof de kung-fu, heu…
ADN : [rires]
GC : Y compris pour la banque, ce n’est pas tout à fait… [rires]. Il y a l’itinéraire que l’on imagine entre les études de commerce et ce que l’on fait réellement… Je me suis vite retrouvé à faire ce que les pratiquants d’arts martiaux font souvent pour gagner de l’argent c’est-à-dire garde du corps.
ADN : Oui effectivement c’est plutôt courant.
GC : D’autant plus qu’à l’époque il n’y avait pas beaucoup de ceinture noire de karaté et d’aïkido. J’ai rapidement occupé la fonction d’instructeur de close combat mains nues et avec armes blanches, dans l’armée. Et cela ouvre forcément des portes pour travailler dans le milieu de la protection. Un secteur très restreint où il y avait seulement trois boites qui bossaient. J’ai pu vivre certaines expériences professionnelles singulières comme remplacer le chauffeur de Jacques Chirac pendant trois semaines.
ADN : Ah, avez-vous quelques infos « croustillantes » ?
GC : Et bien ces gens-là, il faut le savoir, ont très souvent à faire à des « larbins ». C’est vrai que les gardes du corps ont un côté martial un peu à part ; cela intrigue, cela amuse les politiques. Ils se confient plus facilement car on discute de choses différentes que de leur quotidien. C’était finalement très sympa mais j’ai arrêté quand j’ai compris que c’était très limité, quand même. Le fait de se retrouver en costume trois pièces au bord d’une piscine avec des gens en bikini et en maillot de bain, bon c’est vrai qu’à un moment c’est difficile [soupirs]. Et puis après j’ai commencé à écrire des articles pour des revues comme Karaté, Karateka, la plupart de journaux dans les années 70. Pas mal d’articles. Puis j’ai écrit des bouquins. Je dois en être au vingtième. Mon dernier vient d’être republié « le Traité d’Energie Vitale » qui avait été déjà publié dans les années 80.
ADN : Edité par ?
GC : Les éditions Ellébore. J’ai aussi sorti récemment le Qi Gong de la Lumière. Je continue toujours d’écrire sur le sujet des arts chinois, des pratiques de santé notamment.
ADN : Alors on entend parler du Qi Gong partout, c’est devenu aussi connu que le Yoga de nos jours. Comment définissez-vous le Qi Gong ?
GC : Mobilier le corps, faciliter la circulation, travail profond de la respiration et éveil de l’esprit. C’est exactement le contraire du certificat de décès ! Quand un médecin signe un certificat de décès, il remarque que la personne ne bouge plus, qu’il n’y a plus de mouvement, que la personne ne respire plus, plus de pouls, cela ne circule plus, il n’y a plus d’activité cérébrale. Et donc là, on constate que la personne est morte ; ce qui n’est pas forcément vrai car la personne vit peut-être encore un petit peu dans le fin fond...
Donc, le Qi Gong se tourne plutôt vers la vie. On entretient le mouvement et ce n’est pas évident car à partir d’un certain âge il faut faire sorte que les articulations fonctionnent. Ensuite, il y a tout un travail sur la circulation. Alors toutes les circulations. Quand on dit circulation vue par le chinois cela se complique. C’est le sang dont la lymphe, la circulation sensorielle et la circulation énergétique.
ADN : Et donc cette fameuse circulation énergétique, c’est un vaste sujet. On a du mal à la définir.
GC : Oui. Car on ne trouve pas vraiment d’âme sous le scalpel. Et on ne trouve pas non plus de Chi sous le scalpel. Le problème est là. Quand on pratique soit le shiatsu, soit le tai chi, soit le qi gong, etc. on sait évidemment que ce chi existe. Mais c’est un peu la différence entre ceux qui croient en quelque chose mais s’ils croient c’est qu’ils ne sont pas totalement sûrs. Et puis ceux qui pratiquent et ceux-là ils ne cherchent même pas à savoir si c’est vrai ou pas, c’est une sorte d’évidence absolue. Si la pratique est « juste » on voit bien qu’il se passe quelque chose. Le problème aussi c’est que cela a été vilipendé sur Internet ; je pense aux gens qui en font tomber d’autres à distance, etc. Malheureusement tout ce travail sur le chi implique évidemment la santé mais il implique aussi l’envie de vivre, ce qui est très important. Il peut y avoir une notion aussi d’intention là-dedans comme les chinois le disent mais le chi est très important. A mon avis dans le Qi Gong il y a une autre notion, celle de parvenir à autre chose encore. Car une fois que l’on a éveillé l’esprit c’est bien beau mais c’est sans doute pour parvenir à autre chose. Au-delà peut-être, une autre chose de spirituel, à autre chose que l’on ne peut pas qualifier.
ADN : Hum, hum. On ne peut pas qualifier cette « chose » ?
GC : Ah ben non. Si on dit divin cela devient compliqué. Cela me fait penser aux japonais avec le shintô. La voie des divinités. Cela n’a jamais été des divinités. Ce sont des esprits, des esprits de la Nature. Les japonais ne sont pas idiots. Ils savent bien qu’un arbre n’est pas un Dieu. Par contre cela représente une force, une présence qui mérite d’être respectée, normalement. Mais c’est de moins en moins le cas.
ADN : C’est sûr.
GC : Dans ces pratiques, il y a aussi depuis longtemps, à priori, un respect de la Nature sauf en hiver car il faut bien chauffer les salles pour s’entraîner mais en général une tenue et une paire de chaussures suffisent pour pratiquer. On est assez peu consommateur d’énergie sauf pour peut-être se rendre au cours. Il y a un respect de l’environnement. Il y a quelque chose qui dépasse la vision sportive.
ADN : Faire du Qi Gong c’est faire de l’écologie en quelque sorte. Et j’avais lu dans l’un de vos articles, quelque chose qui m’a marqué à propos du Qi Gong que vous décrivez comme une pratique permettant d’avoir une meilleure santé mais vous dites clairement, en rappelant la liste des différents Ministres français qui se sont succédés sans que rien ne change, que les arts énergétiques chinois ou le Qi Gong ne sont pas reconnus à leur juste valeur. C’est un peu la même chose, le même problème avec le shiatsu.
GC : C’est évident oui !
ADN : Bon je ne sais pas si c’est vraiment un problème car il y a différentes explications à cela et c’est pour cela…
GC : Justement je vous coupe, cela me fait penser au « maquis » et je me suis aperçu que ceux qui « collaboraient » notoirement avec la médecine par exemple, ils perdaient l’essence de leur pratique. Car ils sont obligés de faire des compromissions. Donc le fait de résister amène peut-être un peu plus à celui qui souhaite une reconnaissance qu’à celui qui demande des compromissions. Les approches alternatives sont ainsi associées à effet placebo. Le grand acupuncteur Lavier formé à Taipei expliquait que la médecine occidentale est buccale, anale et intraveineuse, et que s’il n’y a pas de « pénétration » ce n’est pas bon. Cela a fait évoluer l’acupuncture alors que cela n’existait pas en Chine ! Avec un tas de subterfuge en ajoutant des substances dans les aiguilles et en essayant de faire croire au médecin que l’acupuncture est plus efficace que le shiatsu par exemple parce qu’il y a pénétration. On imagine déjà car il y a eu pendant longtemps l’application de massage. Par exemple le massage organique était effectué en France ; l’équivalent du Chi Nei Tsang Chinois existait. Mais les médecins en ont eu marre. C’était trop de boulot. C’était trop physique. Ceux qui ont pris le relais n’avaient pas la compétence pour faire ce type de massage. Et cela a disparu purement et simplement.
ADN : [soupir]
GC : Je fais très souvent des stages en Italie et c’est vrai qu’ils ont réussi à garder une certaine autonomie, à se faire reconnaître, un minimum. Ils ne sont pas devenus des supplétifs du système médical. On a toujours l’impression que si on n’est pas reconnu par l’ordre médical, on se retrouve un peu les supplétifs de la santé. Alors c’est vrai que l’ouverture elle se fera. Et elle se fait par rapport aux soins palliatifs par exemple. Quand la médecine allopathique n’arrive pas à soulager les patients malades, les familles peuvent exiger que l’on ait recours à des pratiques alternatives comme l’acupuncture, le massage, le shiatsu désormais. Mais bon c’est quand même une démarche un peu singulière.
ADN : Hum. D’ailleurs avez-vous constaté des différences dans les pratiques, les connaissances en France entre avant et aujourd’hui ?
GC : Déjà. Il y a une évidence. Il y avait beaucoup moins de choix. Les pratiquants potentiels se répartissaient dans moins de disciplines. Donc il y avait des cours plus fournis en pratiquants. Et en plus, par le biais de l’éducation, des valeurs de la société de l’époque, les gens étaient plus présents. Ils acceptaient de pouvoir pratiquer quelques années avant d’obtenir un résultat alors que maintenant on choisit au hasard et au bout de trois cours on voudrait « voir » le résultat. Il y a un manque d’assiduité.
ADN : Les gens sont moins assidus ?
GC : Beaucoup moins assidus, ils papillonnent. Une fois qu’ils ont vu le premier Tai Chi, le premier Tao « machin » ils vont voir le deuxième Tao Tai Chi « bidule » etc. Ils ne se rendent pas compte qu’il faudrait pratiquer. En réalité, il y a peu de personnes qui pratiquent. Avant les gens pratiquaient chez eux, ils se réunissaient pour pratiquer un peu ; et là les gens viennent comme çà et si cela ne leur plaît pas, ils changent.
ADN : Cela me parle vraiment ce que vous dites. Si je fais le parallèle avec le shiatsu dit professionnel il y a à ce jour 2 titres et certifications professionnelles. Pour les obtenir il faut pratiquer environ 500 heures réparties sur 3 ou 4 années. Dans ce quota d’heures, il y a une proportion non négligeable de théorie parfois plus de la moitié. En comparaison, lorsqu'on étudie le shiatsu au Japon, les 500 heures peuvent être effectuées en 3 ou 4 mois.
GC : Oh oui je sais tout cela…
ADN : Et donc il y a aujourd'hui des étudiants qui lorsqu’ils ont terminé leur apprentissage croient être opérationnels voire "compétents" pour traiter toute sorte de pathologies ! C’est vrai que ce n’est pas de leur faute. C’est plutôt de la responsabilité des formateurs, des enseignants, des écoles.
GC : Oui mais cela on y peut rien malheureusement. Je vois et je constate que certaines associations, certaines écoles, certains groupements forment des enseignants avec un nombre d’heures qui n’est même pas celui que nous avons pour un CAP. Un CAP c’est minimum 3 ans, 5 heures par jour, 5 jours par semaine. Et à partir de là, on passe du théorique à la pratique avec un patron, etc. Et là c’est un minimum professionnel. On forme des « ingénieurs » en Qi Gong qui n’ont même pas un niveau de CAP.
ADN : Et donc pour vous, cela suit l’évolution de la société ?
GC : Oui tout à fait. On ne pourra pas revenir là-dessus. Quand on commence à dire aux gens que ce n’est qu’au bout de 3 ans minimum qu’ils commenceront à y voir plus clairs et bien cela fait drôle à entendre ! Moi par contre c’est vrai que j’ai des élèves qui me suivent depuis 30 ans. Et qui eux enseignent à leur tour. On se réunit d’ailleurs prochainement pour une convention des arts classiques du Tao ; je connais certaines personnes depuis 35-40 ans.
ADN : Et par rapport à ces arts classiques du Tao, que faites-vous exactement ?
GC : Déjà on se regroupe pour discuter des problèmes que l’on rencontre justement dans l’enseignement, la transmission. C’est avant tout un espace de discussion. Puis on liste les problèmes au niveau administratif. On essaie de régler ces problèmes. Mais sans l’intention de créer une Fédération de plus. On se réunit pour se retrouver ; car ce n’est pas évident de se voir, 1 fois par an. Et puis réfléchir sur des questions de fond : comment peut-on changer ? Comment peut-on évoluer ? Sachant toutefois que rien ne va changer fondamentalement. C’est surtout histoire de se retrouver entre pratiquant et enseignant.
ADN : D’accord.
GC : Le truc c’est qu’à notre niveau l’important c’est toujours de pratiquer. Car on se rend compte du nombre d’enseignants qui ne pratiquent plus, c’est dommage. C’est le côté sportif. Ils ont un grade, une certaine reconnaissance et ils restent sur le banc du tatami à passer des sms mais ils ne bossent plus. Alors qu’un enseignant qui ne pratique plus a du mal, à mon avis, à comprendre ce qui se passe. Il faut permettre aux pratiquants de pratiquer, à ceux qui souhaitent enseigner de pouvoir enseigner. Il faut aussi permettre aux enseignants de pouvoir pratiquer. J’en reviens à Confucius qui disait déjà 400 av J-C : « il est rare qu’une personne passe trois ans à apprendre quelque chose sans apprendre à en tirer profit ». Cela nous tombe sur le dos mais lui-même se rendait compte qu’à l’époque les gens n’avaient pas la même assiduité. Certains n’avaient pas trop envie de prolonger la pratique. Pour moi, c’est vraiment une sorte de mode de vie. Mais qui s’adapte tout à fait aux conditions de vie actuelle.
ADN : Et par rapport à vos stages en Italie, trouvez-vous des différences entre les populations qui vous suivent en France et en Italie ? Dans leur mentalité, leur état d’esprit, leur niveau, leur expérience ?
GC : Oui, un peu quand même. Déjà par le fait de la législation italienne. J’ai plus de praticiens et de thérapeutes dans mes stages environ la moitié des stagiaires ; alors qu’en France, il y en a un ou deux seulement. Par exemple, j’ai des personnes du shiatsu en Italie. Donc cela change un peu dans la mentalité. J’ai des gens qui essaient aussi de trouver une vertu de leur pratique. Ils ne sont pas là par hasard. Mais il y a une bonne entente entre les pratiquants français et italiens. Ils s’entendent très bien finalement. En Italie, les méthodes autour du bien-être se développent bien. C’est impressionnant.
ADN : Pour en revenir à vos expériences dans les arts chinois et japonais, des choses vous ont-elles marqué dans les postures ou les techniques ?
GC : Ce sont deux voies différentes. Les japonais ont eu le génie d’adapter et de simplifier pour atteindre une efficacité. Alors que les chinois ce n’est pas trop dans leurs recherches, ils maintiennent dans la complexité, le nombre d’écoles, la sophistication, etc. il faut vraiment choisir, il faut faire gaffe… cela peut être vite touffu, confus. Le Confu-Cianisme peut parfois amener au confus, à la confusion. Dans la vision japonaise, peut-être qu’il y a eu perte de richesse, mais d’un autre côté il y a simplification et efficacité. C’est cela qui me marque. Et également de la rigueur. Les japonais sont plus rigoureux. Les chinois sans doute plus « amateurs ». Ils aiment les choses. Il suffit de voir les deux cuisines. Bon je ne parle pas des sushis catastrophiques. Je ne sais pas s’il y a des sushis shiatsu [rires] mais je sais que ce sujet me terrorise car j’adore les sushis depuis les années 70 ; à l’époque on allait chercher les poissons au marché et le poissonnier nous disait « vous êtes fous, vous n’allez quand même pas manger cela cru, le poisson se mange cuit ! »
ADN : [rires] oui.
GC : Alors quand on voit maintenant les supermarchés ; c’est vrai cela fait peur. Moi-même j’ai du « mal » avec les chinois. Quand je fais un bouquin sur la diététique chinoise, j’en ai écrit plusieurs, et quand on voit les restaurants en France avec les buffets à volonté par exemple, cela ne donne pas une bonne idée de la cuisine traditionnelle. Des deux côtés, il y a du très sérieux mais quand cela arrive en France, cela finit par être un peu bizarre. C’est le syndrome du saké dans le restaurant chinois [rires].
ADN : [rires] Ah le fameux saké !
GC : Je recherche désespérément un cuisinier japonais pour manger des bons sushis et boire du saké japonais chaud ! On en revient à Confucius « les mots perdent leur valeur ». On n’a plus de critères de référence. Cela a l’air de rien mais si on parle du même mot et qu’il ne désigne pas la même chose alors c’est drôlement compliqué pour les gens de se comprendre mais aussi de comprendre tout court.
ADN : Il nous faut donc continuer le travail de pédagogie.
GC : Il ne faut pas arrêter. Il ne faut pas arrêter de tenter d’expliquer. Ce n’est pas simple.
ADN : Et que pourriez-vous conseiller à celles et ceux qui souhaitent améliorer leur pratique, sensibilité, ressenti, technique ?
GC : Le premier conseil que je donne toujours est celui de pratiquer. Il y a l’étude et la pratique. Et même après, rechercher les avantages de la pratique. J’ai l’impression que c’est un peu comme l’algèbre ; on n’explique pas aux gens à quoi cela peut servir. Les plus éveillés s’intéressent ; ceux qui ont raté le deuxième cours ne s’y intéressent pas. Simplement parce qu’on ne leur explique pas à quoi cela peut servir. Comment on peut s’en servir. Je conseille à mes enseignants de bien pratiquer et d’aller voir un thérapeute. Il préférera avoir sous la main quelqu’un qui connaît bien les articulations, le corps ; que quelqu’un qui débarque par hasard. Le fait aussi de pratiquer après la séance de thérapie continue de mettre en œuvre ce qu’a engendré le thérapeute. Il y a une synergie importante entre la pratique et la thérapie. Et pour les thérapeutes je leur dit « pratiquez, nettoyez-vous. Attention çà va car vous avez peu de patients. Mais plus vous avez de patients, plus ils vous « pompent » votre énergie. Continuez donc toujours votre pratique perso ». Beaucoup de jeunes thérapeutes pratiquent au début puis ensuite ils arrêtent. Et c’est là où les problèmes peuvent arriver. Ce que je vois au Japon, en Chine, au Viêt-Nam ou en Corée c’est qu’ils ont tous des pratiques de nettoyage. De manière à ne pas subir la pression énorme de la patientèle.
ADN : Oui de vrais conseils authentiques merci ! Voulez-vous ajouter un dernier mot ?
GC : Oui. Je pense qu’il est difficile de développer nos pratiques hors-sol. Et même au Japon et en Chine cela évolue car les jeunes générations se tournent surtout vers la médecine occidentale. Car celle-ci est associée à un certain statut ou rang social. Utiliser des pratiques traditionnelles comme l’acupuncture, même en Chine cela peut être « mal vu » ou tout du moins mal perçu notamment par les plus jeunes. Ils considèrent avoir les moyens de se soigner : se soigner rapidement c’est se tourner vers la médecine occidentale. Donc c’est encore plus difficile de faire comprendre chez nous dans un pays comme la France que nos pratiques ne sont pas celles du passé mais bien celles du futur !
ADN : Après c’est vrai que les japonais (je connais moins les chinois) ont tendance à dire que c’est à nous occidentaux, français, etc. de prendre le témoin et de participer au développement de leurs méthodes traditionnelles, de leurs thérapies manuelles comme le shiatsu.
GC : Oui c’est évident ! Ils ont compris qu’il faut exporter, renouveler. J’aurai pu vous parler de choses complétement méconnues comme le testament secret du Docteur Kano (le fondateur du judo) en mentionnant que le judo est telle une métaphore et un produit permettant de vendre.
ADN : Une autre fois sans aucun doute !
GC : La société japonaise reste traditionnaliste et très fermée...
ADN : Merci beaucoup. Un grand merci Georges Charles. Pouvons-nous terminer cette entrevue avec votre portrait chinois ?
GC : Oui bien sûr !
Mini Portrait Chinois de Georges Charles
Votre principal défaut ?
Tendance à charger (je suis bouillonnant !)
Votre occupation préférée ?
La pratique
Votre livre de chevet ?
Au bord de l’eau – les 108 brigands de Shi Nai'an
Votre film préféré ?
Après la pluie de Takashi Koizumi / Akira Kurosawa
Votre jour de la semaine ?
Mardi (le jour de Mars)
Votre devise ?
"Do it well and let them say" : la devise d’un clan écossais dont je suis issu
Ici Georges Charles avec les membres de l’Académie Française des Arts Martiaux initiée par Henry Plée et les professeurs français de grande renommée dans les disciplines chinoises et japonaises : Pierre Portocarrero (Karatedo et Taikyokuken), Pascal Plée (Karatedo et Arts Martiaux Chinois), François Briouze (Kendo et Iai Do), Alain Floquet (Aikido et Aikijutsu), Michel Soulenq (Aikido), Dominique Balta (Aikido et Sei No Iki), Martine Charles (Arts Martiaux Chinois et Qigong du Tao (Tao-Yin Qigong), Henri Plée (Pionnier du Karatedo en Occident), Gérard Baron (Boxe Française et Panaché de Combat Français), Jean Pierre Reniez (Iaido et Battodo), Thierry Plée (le Fondateur du FIPAM), André Nocquet (Aikido, élève de Ueshiba Sensei).
Pour en savoir plus sur Georges Charles (Stage, cours, ouvrages)
http://www.tao-yin.fr
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