Peut-on faire du shiatsu et une autre discipline ?
Auteur : Publié le 24/03/2021 à 06h33 -La lecture d’un ouvrage récent sur le shiatsu m’a fait bondir. Ce n'est certes pas le premier. J'ai d'ailleurs créé Shiatsu France pour essayer d'éclaircir tous ces sujets avec des notions factuelles reprises aujourd’hui par certaines instances nationales dans leur blog ou programmes d’école. Dans l’un des paragraphes à propos de comment choisir un praticien, on précise qu’il faudrait se méfier des professionnels exerçant autre chose que du shiatsu. La carte de visite ne doit comporter que la mention SHIATSU et l’école d’affiliation. Le shiatsu ne ferait pas bon ménage avec « reiki » « relaxation » « sophrologie » « naturopathie » … Une information [je vais en profiter pour développer d’autres points également] dont le désaccord vous invite à rédiger une chronique.
Faire que du shiatsu, un point c'est tout.
Cette idée que l'on ne serait pas compétent car on propose du shiatsu en y associant d'autres méthodes, en tout cas certaines, m'a interloqué.
Parmi les recommandations de l'ouvrage pour trouver un bon praticien, il faudrait se méfier des professionnels qui affichent de multiples talents « reiki » « relaxation » « sophrologie » « naturopathie » …
Le paragraphe qui précède mentionnant toutefois qu'être kinésithérapeute, infirmier ou psychologue en plus de la pratique du shiatsu serait une plus-value notamment pour des patients présentant certaines pathologies. Cela paraît être une remarque perspicace dans l’absolu mais cela sous-entendrait une échelle hiérarchique dans les métiers de la santé, du paramédical, du sport et du bien-être ? une variante graduelle entre diplôme universitaire et diplôme privé ? une différence de rang selon le volume horaire d'études ?
J'ai moi-même fait des études en psychologie appliquée il y a de nombreuses années, et j'ai commencé mon activité libérale avec la relaxologie, terme employé dans les années 1960 en France pour regrouper les formations privées hors contrat universitaire (pas de D.U) et englobant les nouvelles méthodes de relaxation : hypnologie (hypnose Milton Erickson notamment), sophrologie (Alfredo Caycedo notamment), Méthode Vittoz, training autogène de Schultz, relaxation progressive de Jacobson.
C'est quelque chose que l'on connait bien dans toutes les méthodes de relaxation et manuelles qui ne proposent pas de cursus universitaire où seul l'apprentissage en école privée permet de se former à un métier.
Le shiatsu est servi !
Rappelons que le shiatsu n'est en France dans sa législation actuelle ni une médecine, ni une idéologie, ni un massage thérapeutique mais un art s'inscrivant dans la prévention et le bien-être.
En France, le shiatsu est défini comme une méthode manuelle de relaxation et le professionnel déclare généralement ses revenus en prestations commerciales et artisanales.
Peut-on pratiquer le shiatsu et d'autres activités ?
Prenons l'exemple d'un autre artisan, le charpentier.
Un charpentier s'occupe des assemblages en bois nécessaires à la pose d'une couverture de toit. Il doit construire ou réparer des charpentes. C'est son premier métier, sa première compétence a priori.
Un charpentier est-il moins performant parce qu'il propose de poser des couvertures ou de fabriquer des menuiseries ?
Ou a-t-il l'expérience et les compétences nécessaires pour accomplir sa tâche professionnelle ? Et surtout est-ce qu'il répond à mes attentes de client ?
Extrapolons le trait aux professions paramédicales. Est-ce qu'un masseur-kinésithérapeute est moins compétent parce qu’il propose aussi de l'ostéopathie ? Je n'entre pas ici dans les débats et les distinctions innombrables dans le domaine de la physiothérapie : conventionnelle, inductive, électrothérapie, microkinésithérapie ... et des courants américains et anglo-saxons divergents de l'ostéopathie : biodynamique, crânien, viscéral, fonctionnel, fluidique...
L'interrogation essentielle est selon moi s'il répond simplement à mon besoin, à ma demande en tant que client ou patient.
C'est le même processus qui devrait s'appliquer à la pratique professionnelle du shiatsu, ni plus, ni moins.
Un Maître japonais confiait il y a quelques années « Vous les européens (les occidentaux) vous aimez la romance. »
Certains Japonais installés en Europe et aux États-Unis l’ont bien compris ; les Chinois aussi. Il suffit de s’intéresser à pourquoi les professeurs occidentaux et les écoles de shiatsu parlent autant de Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), une médecine ancestrale qui n’aurait pas évolué alors que celle-ci n’existe pas de manière figée et ne provient que d’une traduction anglo-saxonne rapide et marketée des années post 1950 du terme Traditionnal Chinese Medical (TCM). Le succès de l’emploi de cette terminologie et de son acronyme a bien entendu était maintenu afin de répandre les connaissances sinologiques dans le monde entier. Ce qui constitue l’une des clés de réussite dans la diffusion et la promotion des savoirs anciens et contemporains de la médecine chinoise ; ce dernier terme est simplement son nom.
Combien de livres sur le shiatsu contiennent plus de chapitres sur le Tao et ses concepts ésotériques issus de l'alchimie, de la cosmogonie et de l'astrologie que de shiatsu ? Personnellement ces sujets me passionnent mais il suffit de discuter avec des étudiants voire des professionnels en shiatsu lors de stages notamment pour voir à quel point cela créé de la confusion dans les esprits [bref, cela fera partie d'une autre chronique à coup sûr].
Peut-on faire du shiatsu et… une autre discipline ?
La réponse est selon moi oui, bien entendu.
Le problème n'est pas forcément le nombre de disciplines proposées par le professionnel (au-delà d'un certain nombre attention au catalogue tout de même !) mais bien du professionnel lui-même et notamment de son discours, de sa posture, de ses compétences et si la pratique alternative qu'il propose est cohérente.
Pour cela, il faut :
- Définir, démystifier et communiquer sur ce qu’est le shiatsu
- Lister les méthodes complémentaires à la pratique du shiatsu
Définir, démystifier et communiquer sur ce qu’est le shiatsu :
Arrêtons d'écrire que le shiatsu est issu de la médecine traditionnelle chinoise et que le shiatsu est ancestral. C’est faux. Ce qui est vrai c'est que le shiatsu puise son essence dans la médecine orientale, chinoise et japonaise Kampo mais il ne serait pas sans la médecine de l'Ouest c'est-à-dire la médecine occidentale. Le shiatsu est une synthèse manuelle contemporaine japonaise (ce n'est pas rien de dire cela). Ou alors partons du postulat que tout est antique, archaïque, magique. Nos ancêtres Hominidae ou plus récemment homo sapiens faisaient alors du shiatsu car ils se soignaient déjà avec les mains, le toucher, les pressions ou encore les frictions pour stimuler, réchauffer, calmer, apaiser. Nous pourrions alors débattre ici des aspects culturels et des singularités philosophiques. Il existe bien entendu une diversité ce qui constitue une richesse dans le paysage du shiatsu (lire l’article de Michel Odoul sur le sujet dans le magazine numéro 1) Shiatsu France Magazine en format papier
Arrêtons de croire que le shiatsu est seulement une approche énergétique qui fait circuler l'énergie dans des canaux imaginaires réduits aux 12 méridiens classiques, méridiens merveilleux ou encore extraordinaires Les méridiens existent-ils ?. Ou alors désignons clairement les choses en employant le nom de shiatsu des méridiens en japonais Keiraku Shiatsu 経絡指圧 comme il existe shiatsu des points en japonais Tsubo Shiatsu ツボ指圧 comme il existe shiatsu 指圧 celui intégré au système médical japonais plus « physiologique » et reconnu comme massage médical. Citons le shiatsu Namikoshi ou Kurétaké contrairement au Keiraku Shiatsu. Cette distinction ne concerne pas leurs effets mais plutôt des modes d'organisations juridique et médical L'histoire juridique du shiatsu au Japon
Sortons des discours fantasmagoriques. On peut aimer son prochain avec sincérité et bienveillance sans « en faire des tonnes » sur les concepts abstraits et ésotériques taoïstes, bouddhistes ou encore chamaniques. Ce n’est pas manquer de respect de dire cela mais essayons d’être fidèles, honnêtes et sérieux. Arrêtons de vendre du rêve et comme le rappelle un grand professeur de médecine chinoise, il est plus facile d’ouvrir une école que de se constituer une clientèle/patientèle pérenne et de vivre pleinement de son activité libérale quotidienne en tant que praticien.
Lister les méthodes complémentaires au shiatsu :
Il serait bon de répertorier les relations esprit/corps et les approches corps/esprit. Le shiatsu étant une méthode ou thérapie manuelle japonaise, tous les massages japonais ou traditionnels peuvent être proposés.
La confusion peut naître d'un éventuel objectif mal affiché.
Si le professionnel se positionne sur le shiatsu esthétique alors tous les massages bien-être, kobido, massages fasciaux, lifting visage, etc. deviennent une valeur ajoutée.
Si le professionnel souhaite faire du shiatsu thérapeutique (attention toutefois au caractère juridique car le mot thérapeutique ne peut à ce jour n'être utilisé que dans le jargon médical, en espérant que cela évolue) alors quid des autres massages ? des méthodes alternatives sophrologie, réflexologie, aromathérapie, hypnologie, des pratiques sportives, yoga, do-in, arts martiaux...
En Orient (au Japon), il n'y a pas ou très peu d'échange verbal entre donneur et receveur, entre thérapeute et patient, entre masseur et client. Pourtant en Occident (en France), la discussion est difficilement incontournable (l'approche psychologique est ainsi prépondérante), les études du donneur en shiatsu dans le domaine de la psychologie, sans jamais se substituer au psychologue clinicien, peuvent alors devenir un véritable atout.
Les exemples autour de la complémentarité des méthodes sont en réalité nombreux.
Retenons simplement le fait que tout professionnel doit avant tout être cohérent et rester dans son domaine de compétences.
A propos de l'aspect thérapeutique du shiatsu issu de la médecine chinoise. Celles et ceux qui l'ont étudié dans leur cursus de shiatsu ont appris la prise du pouls radial par exemple. C'est a priori l'exercice singulier dont les racines de pratique remontent à la pulsologie chinoise. J'ai moi-même étudié ces gestes dans mon cursus en France et pourtant malgré les dizaines de shiatsu reçus au Japon, et ce dans divers styles, aucun Maître, aucun praticien, aucun shiatsushi ne m'a jamais fait cette prise de pouls ! Je ne dis pas qu'aucun praticien ne l'exerce, mais que c'est a fortiori très à la marge dans la pratique professionnelle du shiatsu.
D'ailleurs, le shiatsu au Japon est avant tout un massage. Pour apprendre le shiatsu il faut étudier les bases des massages venus d'occident (chiropraxie) et traditionnels japonais (amma).
Aussi, lorsqu'un professionnel au Japon a obtenu le diplôme de shiatsushi c'est qu'il a effectué un parcours comprenant l'étude des amma et des massages voire bien souvent avec une spécialisation dans l'acupuncture et la moxabustion.
Ainsi il est courant au Japon de lire sur les fameuses meishi 名刺 (carte de visite) des praticiens shiatsu appelés 指圧師 shiatsushi littéralement maître en shiatsu en japonais, shiatsu therapist ou practitioner en anglais, des mentions supplémentaires comme massage, acupuncture, moxibustion...
Lire les diplômes au Japon “Hari”, “Kyu”, “Anma Massage Shiatsu”
En résumé
Même si la législation en France est différente du Japon, une personne peut à l'évidence avoir plusieurs compétences ce qui exprime bien souvent diverses sensibilités. Tout en conservant une vraie démarche professionnelle, chacun a l'opportunité de proposer ses talents multiples au public.
Gardons à l'esprit, le haut niveau d'exigence que chacun doit s'imposer à travers la formation continue par exemple.
Je conclurai cette chronique en rappelant que les mythologies, les spiritualités, les religions, les rites et même le shiatsu nous enseignent une énergie commune universelle.
Celle du cœur.
Le fameux Kokoro Shiatsu ou shiatsu du cœur.
Pour mieux soigner, l’énergie du cœur est bien celle qui fait la passerelle entre toutes les cultures, les peuples et les disciplines.
Et l’adage universel du célèbre fondateur Namikoshi Tokujiro « Shiatsu no kokoro, Haha gokoro, Oseba inochi no izumi waku ».
指圧 の 心、 母心、 押せば 命 の 泉 わく
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