Des médecines antiques à la thérapeutique manuelle japonaise
Auteur : Publié le 01/09/2020 à 11h16 -Dans cette chronique, je vais inviter le lecteur à sortir des sentiers battus et de présupposés comme celui selon lequel le shiatsu serait issu de la médecine chinoise dite traditionnelle. Au 6ème siècle av J-C s'est produit un changement capital prémice d'une nouvelle ère, celle des hommes souhaitant diriger leur vie en se fondant uniquement sur la raison. Cet évènement universel s'est presque déroulé simultanément partout dans le monde ! D'abord en Israël où Isaïe précise que l'homme religieux doit être un homme moral luttant pour la justice puis en Inde où Bouddha enseigne la pratique d'une transformation de soi-même jusqu'en Chine où Lao Tseu développe une sagesse basée sur la conscience personnelle, sans oublier toute la philosophie développée en Grèce.
La médecine traditionnelle chinoise M.T.C
Lorsqu'on étudie le shiatsu en France et dans certains pays européens, la médecine chinoise traditionnelle est largement enseignée. A la suite d'un cursus en shiatsu, l'étudiant devient un professionnel : praticien ou spécialiste. Il annonce ensuite qu'il propose des soins en shiatsu et parfois en médecine traditionnelle chinoise.
En tant que praticien et formateur en shiatsu, c'est un point qui m'interpelle personnellement depuis longtemps.
Et ce pour au moins 3 raisons :
- Comment apprendre et connaître la médecine chinoise dite traditionnelle dans un cursus de shiatsu alors que faire de la médecine même chinoise c'est être avant-tout un médecin. Est-ce que vous iriez consulter un médecin généraliste qui n'aurait fait que 500 heures d'enseignement ou mêmes 1000 ou 2000 heures ?
- Dans le cursus d'un professionnel en shiatsu qui se forme au Japon (en moyenne 3000 heures d'études en 3 ans sans compter la pratique), l'étude de la médecine chinoise est à la marge et reste théorique dans le programme. De plus, ceux qui ont le diplôme d'état japonais de Shiatsushi ne sont pas des médecins.
Lire l'article sur les différences entre shiatsu en France et au Japon (épisode 3)
Lire l'article sur l'histoire juridique du shiatsu au Japon
- L'acronyme MTC issu de l'anglais TCM est largement usité alors que la médecine chinoise a évolué au fil des siècles et qu'elle a été épurée avec des raccourcis bien souvent faux ou loin de l'essence des pratiques connaissances originelles. Ce n'est qu'à partir des années 1950 que le mot "traditionnelle" a été ajouté avec une idée politique et marketing.
Lire l'entretien avec l'expert français du Tao et de la médecine taoïste Serge Augier
Apprendre les rudiments de la médecine chinoise est sans aucun doute passionnant, gratifiant mais son étude demande en réalité de nombreuses années pour essayer de comprendre ses subtilités et sa complexité. D'autant plus que nous appréhendons bien souvent en Occident (U.S.A et Europe) l'acupuncture avec ses méridiens et ses points comme branche majeure alors que la médecine chinoise repose d'abord et très largement sur la pharmacopée.
- Archeus,
- Baraka,
- Bioénergie,
- Bioplasma,
- Eckankar,
- Ether,
- Dieu,
- Ka,
- Kerei,
- Numen,
- Force Odique,
- Lumière astrale,
- Mana,
- Orenda,
- Syntropie,
- Tinh,
- Wakan Tanka,
jusqu'aux concepts équivalents :
- Pneûma, souffle en grec,
- âme Anima
- esprit Spiritus en latin, souffle, vent,
- Prāna ou Aum dans la philosophie indienne,
- Ruah dans les pensées hébraïques et dans les pensées arabes.
Cette vision commune est fondée sur une intuition universelle et une force collective de l'esprit humain.
Les égyptiens croyaient par exemple eux-aussi en deux âmes principales : le ka et le ba. Ainsi, le ka représentait la force vitale, c'est l'énergie vitale qui anime tout être humain. Le ba énergie encore plus subtile qui représentait la force et la personnalité.
Ou le Shen chinois et l'énergie de l'intelligence émotionnelle dans le siège du cœur. Et bien là-aussi, les égyptiens croyaient que le cœur était le centre des pensées et des sentiments, et qu'il faisait circuler toutes sortes de fluides. D'ailleurs ce n'était pas le cerveau mais le cœur qui constituait le centre de contrôle du corps humain, siège de l'intellect, des sentiments et de la force vitale !
Bref, lister les concepts, les points de convergence, les passerelles, les idées, les techniques similaires entre les différentes médecines anciennes demande expertise et de nombreux livres ; j'invite donc le lecteur à plonger dans une bibliothèque afin d'effectuer ses propres recherches.
De quelles médecines traditionnelles parlons-nous ?
Les médecines appelées traditionnelles sont historiquement anciennes. On parle de médecine ancestrale ou de médecine antique.
Dans les faits, il existe plusieurs médecines antiques reconnues. Alors que certaines médecines n'ont pas réussi à s'exporter, d'autres au contraire ont accumulé et agrégé un savoir suffisant pour participer à l'élaboration de médecines naturelles et classiques dans le monde :
- médecine chinoise,
- médecine ayurvédique d'Inde,
- médecine égyptienne,
- médecine tibétaine,
- médecine grecque,
- médecine romaine.
Et plus récemment des médecines traditionnelles élaborées au Moyen-Age comme les médecines japonaises (kampo), les médecines amérindienne et arabe.
Les origines de la Médecine Antique
Toutes les médecines antiques, de la médecine chinoise à la médecine égyptienne en passant par la médecine gréco-romaine portent la notion commune de la guérison de l'homme en soignant son corps et son esprit.
L'esprit humain ne pouvant être guéri que par purification et nettoyage. Le rapport à Dieu ou aux divinités est alors incontournable.
La médecine est à l'époque divine, magique, théurgique. C'est une médecine des temples. Une médecine où le corps d'un homme ne pouvait être soigné sans soigner son esprit, ce que nous qualifions de nos jours d'approche holistique.
Comme les chinois ou les indiens, les grecs font reposer la guérison sur des pratiques magiques ou religieuses. Les cultes guérisseurs étant généralement situés hors des villes. Ainsi, le premier Dieu grec des médecins est Asclépios.
En grec ancien Asklêpiós, il est un dieu lié à la divination, à la guérison et à l'eau.
D'abord vénéré à Trikka, en Thessalie, puis en pleine campagne près d'Épidaure. À Corinthe comme à Athènes, Délos ou Cos, le dieu Asclépios s'installe à l'écart de l'agglomération.
La visite de son sanctuaire nécessite ainsi une excursion correspondant au rituel. Ce dernier est un élément indissociable du processus de guérison.
Les sanctuaires sont également liés à une source ou une rivière dont les eaux possèdent des vertus bienfaisantes.
Cette tradition et ce rapport à l'eau qui purifie a toujours suivi les cultures, les groupes et les communautés.
Le Serment d'Hippocrate
Le serment d'Hippocrate est un serment traditionnellement prêté par les médecins en Occident avant de commencer à exercer. Le texte original de ce serment rédigé au 4ème siècle av. J.-C. appartient aux textes de la Collection hippocratique, traditionnellement attribués au médecin grec Hippocrate. Le serment d'Hippocrate peut être considéré comme le texte fondateur de la déontologie médicale.
Comme expliqué ci-dessus, l'exercice de la médecine en Grèce antique est très différent à aujourd'hui. L'art de soigner était entièrement libre, depuis les prêtres-guérisseurs des temples et sanctuaires, jusqu'aux exorcistes et rebouteux. De ce vaste ensemble émergent des communautés familiales spécialisées dans l'art médical. Ce sont les Asclépiades, qui se transmettent savoirs et pratiques, de père en fils, par apprentissage dès l'enfance. Hippocrate appartenait à l'une de ces familles qui faisaient partie de l'élite culturelle, au contact des grands courants philosophiques et scientifiques grecs. Le Serment semble se placer au moment où ces communautés familiales s'élargissent aux étrangers pour leur enseigner la médecine.
Hippocrate a eu un grand sens de l'observation et le grand mérite d'avoir décrit les maladies. Il considérait le corps humain comme un composé des quatre éléments (on en retrouve aussi 4 dans la médecine ayurvédique et 5 dans la médecine chinoise) d'où dérivent la fameuse théorie des quatre tempéraments et donc des quatre humeurs : le sang, la pituite, la bile et l'atrabile. La maladie, d'après lui, consiste en une perturbation dans la condition des fluides (ne serait-ce pas les concepts de la circulation du Qi, du sang, de l'eau, des liquides ?). Il regardait les maladies aiguës comme seules susceptibles de traitement ; les affections chroniques lui semblaient hors de la portée des ressources de l'art.
Si Hippocrate est considéré comme le père fondateur de la médecine occidentale, d’autres personnages ont joué un rôle majeur dans cette médecine. Citons par exemple Galien, Celse, Soranos, Hérophile, Érasistrate, Dioscoride, Agnodicé l'une des premières femmes.
Ce serment commence par une invocation aux Dieux, puis il se compose de deux parties bien distinctes et sans transition. La première concerne les devoirs de l'élève envers son maître, cette partie a l'allure d'un contrat. La deuxième concerne les devoirs envers les malades, avec des obligations et des interdits, cette partie a l'allure d'un code ou d'une table de commandements. Enfin le texte se termine par une louange et une malédiction, selon la teneur de l'engagement.
L'invocation aux Dieux se comprend facilement car Apollon est Dieu et médecin, et père d'Asclépios (ou Asklépios) le fameux héros guérisseur, lui-même père de deux filles, Hygie la déesse de la santé et Panacée la déesse des soins. L'engagement au sein d'une famille (réelle ou symbolique) de médecins se fait sous l'égide d'une famille divine. Les médecins hippocratiques étaient appelés Asclépiades car ils prétendaient descendre d'Asclépios.
Le bâton d’Asclépios
Le bâton Asclépios, autour duquel est enroulé un serpent sacré, est l’emblème officiel du corps médical. C'est le fameux caducée, symbole universel utilisé encore aujourd'hui par les médecins pour représenter leur profession.
Saviez-vous qu'il s’agit à l'origine d'un porte-bonheur grec ?
Je trouve ce point vraiment intéressant. Une science actuelle comme la médecine moderne et allopathique imposant parfois une certaine rigidité intellectuelle, a gardé comme emblême représentative de sa profession un porte-bonheur empreint de symboles à la fois commerciaux et mythologiques.
Selon cette même mythologie, les guérisseurs de l'époque faisaient la publicité de leurs services en accrochant une pancarte représentant un bâton avec un ver enroulé tout autour.
Le dieu Asclépios est un guérisseur légendaire possèdant un savoir et travaillant inexorablement pour le bien des hommes.
Asklépios représenterait tout ce vers quoi devrait tendre le médecin « idéal » ; que ce soit le médecin de la Haute Antiquité ou le médecin d'aujourd'hui.
Nous pouvons ainsi dire qu'entre la médecine antique et la médecine moderne, il n'y a qu'un pas...
Le shiatsu est-il une médecine antique ?
Les pressions avec les doigts exercées par les hommes pour soigner existent probablement depuis des milliers d'années.
L'homme ayant toujours utilisé ses mains pour calmer, apaiser, soulager les maux et en y associant des plantes pour certaines blessures par exemple.
Ceci rappelé, affirmer que le shiatsu est une médecine antique paraît fantaisiste dans le sens même où le shiatsu est une synthèse manuelle contemporaine.
La particularité du shiatsu repose à la fois sur des aspects traditionnels et modernes.
Car le shiatsu, en tant que méthode manuelle, intègre des techniques venant de plusieurs pays et sur différentes époques.
Il a su puiser autant dans la philosophie orientale que dans la chiropraxie et l'ostéopathie anglo-saxonne, les massages corporels européens, eux-mêmes issus des médecines antiques.
Entre médecine orientale et médecine occidentale, le shiatsu s'adapte aux évolutions sociétales et culturelles internationales, et reste dans son essence l'art manuel japonais des pressions digitales.
Alors est-ce que le shiatsu est thérapeutique ?
Rappelons d'abord ce que veut dire thérapeutique.
« Thérapeutique » est un nom féminin.
En médecine, est thérapeutique tout ce qui est relatif au traitement des maladies.
C'est la manière de traiter telle ou telle maladie.
La thérapeutique concerne les cures, le traitement, la médecine.
A la question le shiatsu est-il thérapeutique?
La réponse est oui et non.
Notamment selon la position législative, juridique, observationnelle et sémantique.
D'abord, pourquoi le shiatsu est thérapeutique :
- Dire que le shiatsu est thérapeutique est en quelque sorte un pléonasme si on considère le shiatsu au Japon comme une pratique manuelle complémentaire à la médecine conventionnelle.
- Le shiatsu promulgué sur les pesonnes avec des symptômes identifiés (diagnostiqués par corps émdical), apporte dans les faits observés des améliorations d'état. Au delà du fait que le receveur exprime bien souvent qu'une séance lui a fait du bien, quel est l'effet sur une inflammation d'un tendon (tendinite) ou d'un nerf (sciatique) par exemple. Au Japon, le shiatsu agit, de manière scientifique c'est-à-dire physiologiquement, sur ces symptômes. Il faut alors voir quelle technique shiatsu est utilisée.
Non, le shiatsu n'est certainement pas thérapeutique :
- Comme le shiatsu n'est en France ni une médecine conventionnelle, ni une médecine alternatives. De plus, il n'existe pas d'étude en Europe confirmant ses effets sur tel ou tel symptôme. Le traitement des maladies ne concerne que la médecine alors le shiatsu ne peut être considéré comme thérapeutique.
- Cette discussion autour de la thérapeutique n'a pas vraiment de sens au Japon car le shiatsu est surtout utilisé en préventif. Concernant le curatif, le cadre légal est ficellé. Le shiatsu peut être exercé de manière préventive en famille (shiatsu familial), en institut de beauté (shiatsu esthétique), en centre de soins ou en libéral (shiatsu professionnel), et en curatif dans les cliniques ou les hôpitaux (massage médical) avec la supervision de médecin et seuls les praticiens en shiatsu (shiatsu-shi) diplômé d' État peuvent exercer.
En conclusion :
Lire aussi Les données de recherche et étude scientifiques - (shiatsu-france.com)
Statue d'Asclépios du sanctuaire d'Épidaure, Musée national archéologique d'Athènes.
Intaille magique en jaspe rouge avec Héraclès et l’inscription « Va-t’en, bile, la divinité te poursuit », Cabinet des médailles, BNF
Fresque médiévale représentant Galien et Hippocrate
Les 4 tempéraments (humeurs) selon Hippocrate
Dhanvantari, la divinité associée à l'ayurveda
Sources et Notes :
© La médecine dans l'Antiquité : professionnels et pratiques Fabienne Olmer
© La porte du bonheur Etude sur le dieu Asclepios
© Wikipedia Médecine et religion
© Wikipedia Serment d'Hippocrate
© cosmovisions
© Les philosophes anciens Bertrand Vergely
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